Style, l'impossible définition

Style-defiition

Style, l'impossible définition

Si l’on aborde la question du style en s’éloignant de l’écriture, si l’on pense style de vie, style de vêtement, le style d’un sportif… surgit une sorte d’évidence : le style n’est pas la bonne, l’unique, la meilleure façon, mais celle "qui convient". Le style sous-entend une pluralité de styles, un mode parmi d’autres. Il me semble que l’on peut résumer cette première évidence par : le style c’est un ensemble de choix parmi des possibles.

L’idée de choix s’accompagne de celle de décision, choisir, c’est décider, agir. Cette conception entre en contradiction avec celle qui affirme que le : "style c’est l’homme" selon l’expression de Georges Buffon dans son discours à l’Académie. Le style serait une sorte de donnée naturelle. De la même façon que nous avons chacun notre manière naturelle de parler ou de marcher, le style serait  l’émanation spontanée d’un être, une forme individuelle et innée : un souffle, une façon de penser, de respirer, de bouger, liée à un corps, une façon de parler, une tournure d’esprit, un regard dans ce qu’ils ont de particulier et de cosubstantiel à un individu.

On pourrait reconnaitre, étudier - et c’est ce que l’on fait -  le style des "grands écrivains" et ses formes (compter les occurrences de mots, repérer les figures ou leur absence…), comme une manifestation directe de leur génie, de leur essence. "Chacun son style", les seules causes de la modification d’une façon d’écrire seraient les étapes de la biographie de l’auteur. Le style se situerait du côté du naturel et le travail du style du côté de l’artifice.

Une telle conception place le style du côté du génie, conception renforcée par le mythe qui entoure le travail des écrivains et la mise en scène ou le mystère qu’ils organisent autour de leur travail. Mythe ou réalité ? Je répondrai par l’exemple de William Faulkner qui a affirmé qu’il avait écrit Le Bruit et la fureur d’un seul jet tandis que l’on a retrouvé après sa mort jusqu’à seize réécritures de certains chapitres.

Je me situe donc plutôt du côté de Max Jacob qui affirmait dans sa préface au Cornet à dés, le style « c’est la volonté de s’extérioriser par des moyens choisis ».

Nous retrouvons ici le point de départ de cet article, le style comme choix. L’élan spontané, qu’il soit associé à l’inconscient, à la sincérité, au talent, au génie même, ne suffit pas. Le style est aussi une prise de distance, la mise en œuvre d’un objectif fixé hors du premier jet, et lâchons les "gros mots" : travail, pensée, volonté… Car s’il y a bien quelque chose de naturel dans le style, c’est parce qu’il est le produit naturel du temps et du travail. 

Il s’agit donc de choisir, mais selon quels critères ? Il nous faut revenir à notre tentative de définition et tout d’abord à la légitimité de ce questionnement. 

La critique littéraire a tenté de se débarrasser, ou de mettre au second plan, cette notion de style au parfum suranné. Penser en termes de style, c’est refuser de penser la littérature en termes de "choses à dire" selon la vision de Michel Houellebeck pour qui "la seule façon d’avoir du style, c’est d’avoir quelque chose à dire", de refuser de réduire le roman à cette « sacrée bonne histoire » que cherche une grande partie du monde de l’édition. Car nous sommes aujourd’hui bien loin de Flaubert qui rêvait "d’un livre qui ne tiendrait sur rien, sur son style".

Ce qui me semble l’une des sources de la difficulté à expliciter l’idée de style, c’est qu’elle comporte deux dimensions : 

– Celle des critères objectifs, des variables sur lesquelles elle s’applique : les figures, le rythme - notamment celui de la phrase -, le lexique… Cette perspective correspond à l’idée qu’il y aurait une sorte d’horizontalité de la langue dans laquelle on pourrait repérer, comme des balises, la verticalité du style. Balises dont l’absence ferait par exemple de Gide un « écrivain sans style » au sens de sans marqueur repérable.

– Et puis la survivance dans le style de quelque chose d’alchimique, quelque chose de l’ordre du secret, ce qui fait que le style demeure une zone de liberté et de surprise, liberté dans l’utilisation du langage et surprise de l’invention toujours renouvelée.

N’est-ce pas contradictoire avec la notion de travail ?

J’aime l’idée que les mots créent une sorte de rumeur qui nous prend comme le flot de l’océan qui est force, mais aussi rythme et musique. Pas d’écriture ou plutôt pas de style, sans cette rumeur des mots, ce flot qui charrie harmonie et contraste, fusion et tempête, matière liquide et sonore.

L’on retrouve, avec cette image du flot, quelque chose qui échappe et crée son propre mouvement. Mais plutôt que la projection d’un moi tout puissant, j’y perçois la possibilité pour l’écriture de ne pas être totalement assujettie à la contrainte du vraisemblable et de l’efficacité fictionnelle. Il ne s’agit donc ni d’un plaisir narcissique ni d’un désir d’élitisme, mais d’une mise en équation d’une intention et de sa manifestation quasi charnelle qui doit s’inscrire dans une forme adéquate.

Trouver cette forme, c’est l’enjeu de la réécriture, de ce qui se passe dans l’atelier quand il est question de revenir sur ce que l’on a écrit. Il faut alors prendre une distance à soi, à son texte, attitude qui se situe à l’opposé d’un « Venez comme vous êtes » à la Mac Do. Car je ne crois pas à "l’être achevé originel", au "soi authentique" qu’il suffirait de libérer pour écrire de façon personnelle. 

Certes, il est nécessaire de partir de ce que l’on écrit spontanément, il faut aussi disposer des outils pour que ce premier jet corresponde au mieux à ses envies, ses sensations, son idée… outils forgés par l’expérience ou fournis par l’atelier. Réécrire est un travail d’artisan, car celui qui écrit fait face à la matière de la langue qu’il faut savoir modeler, une matière qui a ses mécanismes, ses lignes de force, ses subtilités.  

"Y aller au talent", pour reprendre une expression en vogue actuellement chez certains candidats du bac, rencontre vite ses limites. Certes, l’individu possède sa propre sensibilité, son expérience, son souffle, mais ils prennent le plus souvent des formes répétitives : noyée sous le moi, l’écriture est à l’étroit. Elle peut bénéficier de fulgurances, de l’intensité ou de la douceur d’une voix, elle n’atteint pas la souplesse d’une pratique informée, d’une ouverture à d’autres formes, d’une sensibilité littéraire affinée par la rencontre d’autres possibilités.

À la littérature qui propose d’entrer dans "l’univers" d’un auteur, le travail sur le style préfère celui du "monde d’un auteur", pas sa chambre d’ado avec ses fétiches et ses rengaines, mais un parcours, un chemin. Cette aventure solitaire initie un second plaisir de l’écriture après celui du surgissement.

Le travail du style demande d’accepter de se dégager du sens, de renoncer à "J’ai senti ça, je l’exprime ainsi, c’est moi, on ne peut pas y toucher ". Il faut prendre de la distance et trouver le plaisir de la flexibilité, de la souplesse, plaisir de jouer avec ce que l’on écrit pour en explorer d’autres versions.

Je souhaite m’éloigner ici des livres, sites, tutos qui affirment enseigner comment écrire, car il me semble que cela procède d’une simplification dangereuse. Bien écrire procéderait d’abord d’une recherche du mot juste et de l’expression la plus précise (idéal que l’on trouve, mais de façon bien moins caricaturale chez Maupassant), une sorte d’idéal de clarté, de précision et de brièveté. Mais cette optique du style comme matière d’enseignement sous-entend aussi que le travail d’écriture tiendrait surtout au respect d’un certain nombre de règles qui prennent essentiellement la forme de : ce qu’il faut éviter, éliminer… comme s’il existait une forme universelle "la" version juste et des options définitivement exclues. Bien souvent, je constate qu’il s’agit d’entrer dans les critères de ce qui est "facile à lire", expression qui dissimule à peine la recherche de… "ce qui se vend bien". La question ne serait-elle pas de savoir si l’ on pratique l’écriture comme une discipline artistique ou comme une "source de contenu"  pour, selon l’expression consacrée, les produits de "l’industrie culturelle" du livre.

Il s’agit ici d’une contradiction, d’un "impensé" étonnant : l’on prêche simultanément la mise en place d’un univers personnel, l’importance du spontané, du moi et l’application d’une norme littéraire rigide. La liberté ne me semble présente ni dans l’une ni dans l’autre.

Je ne prétends donc pas "enseigner" ou proposer la bonne façon d’écrire, je ne souhaite pas faire adopter un "beau style classique", un "style efficace" à la Stéphan King ou toute autre norme d’écriture. La seule chose que l’on peut enseigner, c’est le droit à la liberté (qui dépend  de l’accès aux outils qui permettent de la cultiver). Cette liberté ne peut se développer que si elle est informée de ce qui s’est déjà écrit, car elle devient alors exigence.

Je terminerai par une citation que j’apprécie et dans laquelle se profile tout ce qui -et heureusement- échappe à toute "recette" sur le style : la dimension spirituelle, j’ajouterais, profondément humaine, de l’écriture.

"Par style, je n’entends ni le beau langage mais la justesse orfèvre d’un accord avec son sujet, une plénitude d’expression qui subordonne le factice à une vérité essentiellement poétique, ni le « bien écrire », mais l’essence même de l’écrire, sa spiritualité, son immatérialité, ou, si l’on veut, son incarnation en l’espèce du Verbe." Philippe Vilain, La Littérature sans idéal  

 

 

Sylvie R. B.

 

 

 

 

 

 

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