Sensations, perceptions

Ecrire la couleur

« Qu’est-ce que nous sommes ?... Fermez les yeux, attendez, ne pensez plus à rien. Ouvrez-les… N’est-ce pas ?... On ne perçoit qu’une grande ondulation colorée, hein ? Une irisation, des couleurs, une richesse de couleurs. C’est ça que doit nous donner d’abord le tableau, une chaleur harmonieuse, un abîme où l’œil s’enfonce, une sourde germination. Un état de grâce colorée. Tous ces tons vous coulent dans le sang, n’est-ce pas ? On se sent ravigoté. On naît au monde vrai. On devient soi-même, on devient de la peinture… Pour aimer un tableau, il faut d’abord l’avoir bu ainsi, à longs traits. Perdre conscience. Descendre avec le peintre aux racines sombres, enchevêtrées, des choses, en remonter avec les couleurs, s’épanouir à la lumière avec elles. Savoir voir. Sentir… » Paul Cézanne

La couleur, les couleurs font partie de ces éléments qui mettent l’imagination du lecteur en branle, de ces éléments cruciaux de la fiction dans sa dimension descriptive et que Roland Barthes a nommés des « effets de réel » (voir article sur le blog).

L’insertion, la mention d’une couleur n’est cependant pas un ajout descriptif parmi d’autres. Que ce soit au moyen d’un adjectif ou un nom idoine ou d’une image (je mettrai dans les jours qui viennent un article : « Ecrire la couleur »), l’utilisation et l’écriture des couleurs sont des marques de l’univers mental de l’auteur et de son style (voir l’article Couleurs chez Hemingway).

Au-delà de cette dimension technique, l’attention à la couleur, son observation font partie de ces zones de résistance à l’an-esthésie, au sens d’absence de perception sensible, qui caractérise notre époque dominée par le virtuel et la séparation avec les qualités sensitives de l’existence.

La couleur, par son immédiateté, fait partie du domaine de l’intuition, de la rencontre avec le monde antérieure à la coupure entre le sujet et l’objet. Certes, l’écriture réintroduit, forcément, une distance, celle des mots comme intermédiaires, mais en tentant de se plonger dans l’expérience des couleurs et en choisissant cette perception, cette intuition, comme sujet, l’écriture se réapproprie la possibilité si ce n’est d’un accord tout au moins d’un accès à la présence de ce qui nous entoure.

Écrire la couleur pourrait ainsi être la possibilité de combler, l’espace d’un instant, la déchirure qui caractérise trop souvent notre rapport au réel. Si la modernité est selon les mots de Heidegger « l’oubli de l’Être », la couleur peut nous servir de piqure de rappel.

Ecrire la couleur

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