Jeux des reflets et des couleurs dans l'Incipit de L'homme invisible, une nouvelle de G.K. Chesterton
"Dans la fraîcheur bleutée du soir tombant, la boutique située à l'angle de deux rues escarpées de Camden Town -une pâtisserie- luisait comme l'extrémité d'un cigare - ou mieux, peut-être, comme une fusée d'artificier, car cette lumière offrait mille couleurs et cent détours, se brisant de miroir en miroir et dansant de gâteau doré en confiserie bariolée.
De nombreux gamins des rues avaient collé leur nez à cette unique vitrine flamboyante, car les chocolats étaient tous enveloppés de ces papiers brillants de couleur rouge, verte ou or qui sont presque meilleurs que le chocolat lui-même; et dans la vitrine, la blancheur de l'énorme gâteau de mariage avait quelque chose de nourrissant et d'inaccessible, comme si le Pôle Nord tout entier eût été offert à la
consommation. Ces tentations irisées avaient naturellement le pouvoir de rassembler la jeunesse du quartier jusqu'à un âge de dix ou douze ans. Mais ce coin de rue savait aussi attirer une jeunesse un peu plus mûre; et un garçon d'au moins vingt-quatre ans observait passionnément la vitrine. Pour lui aussi, cette boutique avait un charme incendiaire, mais son attrait n'était pas le fait des seuls chocolats,
qu'il était cependant loin de dédaigner.
C'était un grand jeune homme costaud, aux cheveux roux, au visage résolu mais aux gestes nonchalants. Il portait sous le bras un carton à dessins de couleur grise qui contenait les croquis à l'encre qu'il vendait aux éditeurs avec plus ou moins de succès depuis que son oncle (qui était amiral) l'avait déshérité pour socialisme suite à une conférence…"