Écrire les sons

Vocabulaire du son

Écrire les sons

Au fil du texte, au milieu des dialogues, des descriptions et actions, surgit un son : un aboiement, un claquement, un sifflet, un bruit de voiture et voici que le texte prend vie, la scène se rapproche, prend une réalité accrue. Il existe un véritable pouvoir des sons, de leur évocation dans l’écriture littéraire, comme c’est le cas dans la vraie vie. N’oublions pas que l’ouïe est le sens de l’alerte : le sens qui ne se repose pas. Notre question sera donc : comment dire, écrire le son ?

Vocabulaire

Quel est le vocabulaire à notre disposition et quelles sont les « composantes » du son ? Voyons comment la langue a mis en place des possibilités de « parler » des sons.

1    Nous aurons peu affaire au vocabulaire scientifique. L’acoustique, discipline qui étudie les sons, utilise pour les décrire les notions de : fréquence, amplitude, contenu harmonique, d’onde, de spectre qui n’ont pas de lien avec l’expérience sensorielle.

Toutefois, les idées d’onde, de spectre, d’harmonique, d’amplitude peuvent être évocatrices.

 

2     Vocabulaire spécifique au son dans le langage courant.

Pour introduire le son, on peut ouïr, écouter, entendre, percevoir, saisir, discerner, remarquer.

Différentes qualités et notions permettent de qualifier les sons. On trouve ce vocabulaire chez les professionnels de la sonorisation, dans les traités musicaux. On peut, pour en affiner les catégories, ajouter les schémas d’écoute de la musique électroacoustique et concrète que Pierre Schaeffer donne dans son Traité des objets musicaux. Il distingue :

-   Trois types de sons : le bruit, la musique, la parole.

-   La hauteur : aigu, grave, sur aigu.

-  L’intensité ou la puissance : piano, forte, un son intense, un cri. Imperceptible (pas tout à fait exclusif du son), inaudible.  Strident : situe à la fois une intensité et une hauteur.

Les mots les plus utilisés : fort et faible sont très généraux, utilisés pour une puissance physique, intellectuelle, musculaire, psychologique. Ceci explique pourquoi fort et faible sont des mots peu « littéraires » - quand il s’agit du son-  peu précis et peu évocateur.

« Un bruit fort » est une expression faible. Une rumeur ou un « bruit sourd, sonore, ou retentissant» sont plus évocatrices.

-    Le timbre : c’est ce qui permet de différencier deux sons produits à la même hauteur avec la même intensité. Notion qui se rapproche de l’idée de couleur ou du « grain » d’une voix, on parle du timbre d’un instrument, d’une voix, par exemple d’une voix rauque.

Le timbre dispose d’un vocabulaire important le plus souvent emprunté à d’autres registres, à d’autres sens.

Dans Siloé, Paul Gadenne évoque « une voix sans timbre » : comment l’imaginer-vous ?

-   Éloignement ou proximité : le vocabulaire est emprunté à celui de la localisation : avant-arrière, droite-gauche, près-loin, haut- bas, dehors-dedans.

Le son peut être droit ou vibratoire, comme l’est une voix de chanteur et son « vibrato ».

On peut décrire « la vie » d’un son.

-   Le surgissement en musique, c’est « l’attaque » (terme imagé !). Un son est tuilé quand il arrive en se fondant dans un autre. Un bruit peut-être soudain : terme temporel, il éclate.

-   Il a une durée : à part « bref, ininterrompu, incessant, continuel » peu de vocabulaire spécifique. Long, prolongé sont d’abord spatiaux avant d’être sonores, récurrent est un terme logique.

-   Il a un fin : il disparait s’il est shunté.

-   Sa vie peut être statique - on dit qu’il « tenu » - ou dynamique s’il s’accélère, ralentit, il change d’allure.

Le crescendo, le decrescendo expriment la montée et la descente de l’intensité son. Si c’est la hauteur qui varie, la mélodie est ascendante ou descendante. Monotone : sans variation.

Un son peut être mélodique, harmonieux, mélodieux. Ou, au contraire, « désaccordé, dissonant, discordant, une cacophonie » ou avec des termes n’appartenant pas au vocabulaire musical : désordonné, anarchique. Il peut être confus, distinct ou indistinct, simple ou complexe.

-   La répétition des sons met en place un rythme. S’il est régulier, on parle de pulsation, de son répété, cadencé, syncopé.

La vitesse de cette pulsation donne le tempo : le nombre de pulsations par minute. Presto s’il est rapide. Le rythme irrégulier peut être saccadé, intermittent.

-   Le son a une organisation dans l’espace : mono ou stéréo.

 

 

Description et  récit de cette "vie du son"

Avec, somme toute, assez peu de vocabulaire spécifique, un son peut pourtant être décrit de très nombreuses façons. J’aime imaginer que la langue exprime ainsi l’intuition de la double existence du son : comme pour la couleur, ce qui est perçu ne correspond pas à sa réalité physique. Le son est vibratoire, c’est une onde, mais nous n’entendons pas sous forme d’ondes. La langue restitue donc non pas le son, mais l’expérience du son, ses manifestations. Ne pouvant évoquer le son lui-même, puisque sa nature nous échappe, les moyens langagiers sont essentiellement analogiques : ils font référence à d’autres types d’expériences.

Il restera donc toujours une différence d’interprétation, qui variera selon les références personnelles, culturelles…

 

La description de l’expérience sonore se fait souvent par référence au visuel : un détour par le plus explicite.

Par une comparaison : un vrombissement sera décrit « comme un bruit d’avion ».

Par le vocabulaire du visuel : clair, sombre, blanc, brillant, mat, terne, éclatant, coloré, scintillant, pâle, vilain, beau, affreux, pétillant.

Il peut suggérer un espace : en pointillé, continu, discontinu, remplir l’espace ou s’y perdre, être délimité ou pas.

Le son dépend de la nature du lieu qui peut être sec ou réverbérant.

S’il labsorbe : le volume du son sera mat, sec, amorti, avalé, atténué, arrêté, étouffé, il va disparaitre.

S’il l’amplifie, s’il renvoie le son : le son va résonner, retentir, il sera dilaté, répliqué, il produira des échos.

Il a une zone d’impact, celle d’un claquement de doigts, n’est pas celle du bruit d’une autoroute, ponctuel ou envahissant tout l’espace. On peut la penser comme une profondeur de champ sonore par analogie au cinéma.

Le son a une direction ou une extension avec ou sans mouvement, il reste suspendu, stationnaire. Sa source peut se déplacer : s’éloigner, se rapprocher, converger, diverger. Il avance par vagues, il tourne. Le son est décrit par analogie au mouvement : lent, on parle de chute pour sa fin.

Il a une vitesse de déplacement : des sons plus ou moins lents ou rapides à nous parvenir.

On peut aussi ressentir le son comme une énergie qui donne une impulsion, peut être convertie, maintenue, accumulée, retenue puis exploser. C’est le moteur des Rave-parties.

 

En plus des expressions liées au visuel, en voici d’autres construites sur des synesthésies, personnalisations, analogies… Les catégories se superposent ; souvent, je n’ai classé les termes que dans celle qui m’a paru la plus significative. Je n’ai pas réécrit systématiquement adjectifs, verbes et noms de la même famille.

 

Vocabulaire en lien avec l’animal : aboyer, ahaner, bêler, beugler, bourdonnement, braire, bramer, croasser, gazouillis, hululement, grognement, grouillement, glapir, glouglouter, feulement, grésiller, meuglement, mugir, pépiement, ronronner, rugir, ululation, pépier, piailler, ramage, roucoulement, stridulation, faire un canard.

Vocabulaire humain ou lié à des thématiques humaines : barouf, bastringue, battage,  bordel, boucan, brouhaha, chambard, charivari, endiablé, se déchaîner, foin, grabuge, hoqueter, infernal, mystérieux, chahut, intrusif, pétarade,  potin, raffut, ramdam, remue-ménage, tapage, tintamarre, inexorable, vacarme.

En rapport avec celui qui entend : le bruit peut lui être familier,  extraordinaire, inouï.

Lié à la voix humaine : babil, cancan, chuchotement, clameur, clamer, commérer, converser, gémir, huer, gémissement, hurlement, bredouillant, soupir, inintelligible, marmonner, murmure, vociférant, chanter, criailler, crier, papoter, psalmodier, vagissement.

Personnalisation (prêter au son une émotion humaine, une psychologie) :

agressif, mélancolique, discret, bavard, braillard, brailler, bruyant, criard, sinistre, obsessionnel, narquois, importun, interrogateur, lugubre, plaintif, trainant, charmant, violent, égrillard, énorme, étrange, joyeux, mauvais, se calmer.

Référence à un mouvement : agitation, éclatement, froissement, frôlement, battement, roulement, taper, coup, tumultueux.

Au gustatif : acide, aigre, piquant, aigrelet, gras.

Au tactile comme on parle du « grain » d’une voix, de « l’enveloppe » d’un son :

(les irrégularités de surface du son) acéré, fin, épais, creux, chaud, froid, grêle, râpeux, feutré, souple, sec, rêche, moelleux, net, enflé, doux, rond, léger, compact, lourd, nourri, pointu, profond, rugueux, vague, turbulence.

Aspect matériel. Les qualités du timbre sont plus ou moins riches ou pauvres, un son dense ou diffus. Un son peut être massif, léger.

La référence aux matières est fréquente : un son métallique, feutré, cristallin, cuivré, argentin, un son semblable à un froissement de papier, à un battement d’ailes.

Rapprochements avec des objets : grincement de poulie rouillée.

Sons spécifiés par leur matérialité : déflagration, claquement, grésillement, grincement, pétarade, pétillement, tinter, tintinnabuler, carillonner, velouté, voilé.

En référence à un lieu : caverneux, agreste, bucolique.

Autre analogie : fanfare, explosion, klaxon.

Analogie avec un geste : grattement, raclement.

Par la cause : choc, claquant, guttural, nasillard, (s’)époumoner, électrique électronique, boisé, exotique, percussif, (s’)égosiller, corner, vent, souffle, pétarader, sonnerie.

Au travers d’éléments (feu, eau…) : crépitation, crépitement, roulis, tempétueux.

Par l’effet produit, sa façon d’agir : apaisant, assommant, assourdissant, avant-coureur, cassant, déprimant, étourdissant, étourdissant, fatiguant, fracassant, aliénant, décapant, effroyable, insaisissable, inouï, désagréable, neutre, comique, obsédant, perçant, lancinant, retentissant, terrifiant, terrible, horrible, inattendu, désagréable, parasite.

Par ressemblance avec le bruit, des mots qui vont rendre le texte lui-même sonore et donc évocateur : balbutier, borborygme, brouhaha, bruissement, chevroter, chuintement, chuchotement, clapotage, clapotement, clapotis, couiner, crissement, cliquetis, craquement, craquètement, déclic, fracas, frou-frou, gargouillis, glouglou, grondement, hoqueter, râle, ronflement, roulement, sifflement, susurrer, tintamarre, tintouin, tohu-bohu, tonitruant, tonner, vrombissement, vrombir, zézayer.

Dans notre langue, le vent souffle, l'orage gronde, le chien aboie, la clé cliquette, le canard cancane, le pneu crisse, la porte grince, le bœuf meugle, le ventre gargouille, le chat ronronne, l'eau clapote, glougloute, le blessé gémit, le bébé babille, le pigeon roucoule et l'amoureux susurre... et tant d'autres mots qui nous rapprochent par leurs sons de la réalité sensible. Il me semble également qu'ils participent à créer un univers sonore, celui de la langue française, un bain de sons et d'imaginaire au travers duquel nous percevons la réalité, un univers que l'écriture rend encore plus tangible, plus savoureux.

 

Et, si l’on ne veut pas ou ne peux pas décrire, on peut restituer le son dans sa matérialité par les onomatopées : Badaboum, bam-bam, bang, bing, boum, broum, bzzz, clac, clic, crac, ding-dong, flap, froutch, glouglou, kssss, paf, pan, pimpon, ping, plic-ploc, plouf, pssit, scrrr, scratch, schlak, scrunch, smack, splash, tic-tac, toc-toc, vlan, vroum, zzzz

Quel est l’intérêt de cette longue liste ? Elle permet d’avoir plus de mots à sa disposition, de pouvoir appréhender un son dans ses diverses manifestations, de « l’attraper » dans ses différentes dimensions avec un vocabulaire large. J’ai cherché aussi, au-delà l’objectif du lexique, à faire sentir l’omniprésence du détour de l’analogie, de la personnalisation et leur variété, car il me semble que c’est dans cette zone que l’on peut tenter de restituer une expérience sonore en inventant ses propres associations. 

 

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