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Le fantastique, définition de Tzvetan Todorov

 

D’abord synonyme de « récit d’imagination », le fantastique prend un sens plus précis dans le vocabulaire romantique de la première moitié de XIXe : il se distingue par l’irruption (l’apparition) dans un cadre réaliste de phénomènes étranges pouvant être interprétés comme la manifestation d’une dimension surnaturelle de la réalité ou même de signes que nous enverrait un autre monde.

Le fantastique devient alors un « quasi » genre littéraire. Non par sa forme ou sa durée qui distinguent la « Nouvelle » ou le « Théâtre » ni par une thématique, mais par la présence d’une composante particulière dans le récit. Cette composante est décrite par des mots comme bizarre, étrange, extraordinaire, surnaturel, effrayant parfois jusqu’au terrifiant.

Voici la définition, souvent retenue, donnée par le critique littéraire Tzvetan Todorov : " Ce qui trouble la raison en la confrontant à ce qui la dépasse, à ce qui pourrait tout autant être expliqué par le recours au surnaturel ou au rationnel."
" Dans un monde qui est bien le nôtre, celui que nous connaissons, sans diables, sylphides, ni vampires, se produit un événement qui ne peut s’expliquer par les lois de ce même monde familier. Celui qui perçoit l’événement doit opter pour l’une des deux solutions possibles : ou bien il s’agit d’une illusion des sens, d’un produit de l’imagination et les lois du monde restent alors ce qu’elles sont ; ou bien l’événement a véritablement eu lieu, il est partie intégrante de la réalité, mais alors cette réalité est régie par des lois inconnues de nous. Ou bien le diable est une illusion, un être imaginaire ; ou bien il existe réellement, tout comme les autres êtres vivants avec cette réserve qu’on le rencontre rarement.

Le fantastique occupe le temps de cette incertitude ; dès qu’on choisit l’une ou l’autre réponse, on quitte le fantastique pour entrer dans un genre voisin, l’étrange ou le merveilleux. Le fantastique, c’est l’hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles, face à un événement en apparence surnaturel." Introduction à la littérature fantastique - Tzvetan Todorov

Le fantastique ne serait donc ni le surnaturel ni le merveilleux, mais une zone de flottement entre eux. Commentant Edgar Poe, le même Todorov résume : « ... le fantastique n’est rien d’autre qu’une hésitation prolongée entre une explication naturelle et une autre, surnaturelle concernant les mêmes événements. Rien qu’un jeu sur cette limite naturel-surnaturel. »

C’est à ce jeu que vous invite la proposition d’aujourd’hui...

Il faut remarquer que la dimension fantastique dépend ici de la « réception » de l’événement surnaturel par les personnages. Dans un conte, les animaux parlants ou la magie des fées sont acceptés comme naturels : pas de bizarre ou d’extraordinaire dans un monde merveilleux. Le fantastique implique un étonnement, un trouble, une inquiétude. Ces distinctions me semblent trop tranchées, trop théoriques pour s’appliquer à tous les textes ayant ce que j’appellerais une « composante » fantastique. En première approche, elles restent à connaître pour entrer dans le domaine du fantastique. D'autres articles à venir sur ce thème...

Le fantastique, définition de Tzvetan Todorov

Actualité du fantastique

Existe-t-il une place pour  la littérature fantastique aujourd’hui ? Si l’on en excepte la science-fiction, les dystopies et autres uchronies, subsiste-t-il une dynamique de ce genre ?

Il y a évidemment de nombreuses publications de recueils de nouvelles que je ne connais pas et qui renferment certainement de bons textes que l’on peut qualifier de fantastiques. Cependant, plus je lis des textes fantastiques et plus je ressens leur inadéquation avec notre époque. Le fantastique a connu  son

 apogée au XIXe, et beaucoup de spécialistes resserrent même cet âge d’or autour des années 1830.   Le fantastique de par  ses thèmes les plus classiques  :revenants, esprits, fantômes… repose sur un héritage chrétien, il stipule l’existence  de l’âme et de son repos que des forces malfaisantes peuvent troubler ainsi que d’une dimension sacrée de la mort. Que peut-il en rester à une époque où cela semble désuet pour la majorité des lecteurs ?  Ils ont été remplacé par la violence, l’exaltation  de la dangerosité,  de l’assassinat imminent et sanglant. La poésie de la mort de la jeune femme aimée et de sa résurrection que l’on trouve notamment chez Gautier ou chez Poe risque de tourner à vide à moins d’accepter de se laisser charmer par la qualité d’une écriture, l’envoûtement d’une atmosphère, la pureté de sentiments comme autant de dépaysements. L’autre puissant mécanisme du fantastique, « l’inquiétante étrangeté » pour reprendre une expression freudienne, se construit à partir de descriptions subtiles de lieux, de paysages qui, eux  aussi, dépaysent le lecteur contemporain impatient. 

De la même façon, les textes fantastiques qui mettent en scène des désirs et des frustrations ne sont jamais totalement psychologiques, ils portent en eux une forme de vertige métaphysique.  La psyché contemporaine se cherche, cherche à se libérer des normes et des structures sociales ou à « gérer » des questions d’organisation de famille ou de travail. Le fantastique au sens classique peut la séduire comme je l’ai évoqué plus haut par le charme d’un dépaysement et la vitalité ou la justesse d’une écriture, mais restent fortement en décalage avec  nos vies programmées et encadrées.

 Les modes de vie, les sensibilités et les questionnements contemporains peuvent-ils donner naissance à des interrogations du même type ? Les récits fantastiques peuvent-ils trouver un cadre dans les cités du XXIe ?   Cela me semble difficile. Le fantastique a-t-il été définitivement remplacé par la science fiction qui semble accompagner naturellement   le développement et l’omniprésence de la technique ? Balayé  par la Fantasy qui libère l’imaginaire de toute contrainte de vraisemblance collant ainsi  à une époque qui rejette les contraintes ? En apparence.

A moins que, justement, le fantastique trouve sa place à la marge d’une production romanesque centrée sur de questions sociétales, politiques ou historiques et sur la recherche de l’épanouissement individuel. Il ouvre un espace à ce qui subsiste de  besoin de métaphysique. Il ne peut pas le faire en reprenant les thèmes qui ont été les siens comme les revenants et les vampires qui ne sont plus que divertissements Halloweenesque pour utiliser un barbarisme à la mesure de ce qu’est devenue la fête des morts.   

Dans la lignée de Borgès, de Cortràzar, le fantastique subsiste sous d’autres formes. Travaillant sur les perceptions, des jeux de langage, des constructions singulières, une littérature de l’étrange, du vertige, du questionnement métaphysique fait appel à ce qui subsiste de flamme intérieure non matérialiste et non auto centrée. Sans se laisser séduire par l'irrationnel et ses  facilités, le fantastique ne serait-ce pas le lieu où peut subsister l'espace  du mystère ?

 

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