Textes sur l'allégorie

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Textes sur l'allégorie, figure de style

« Le désir des hommes a des façons qui sont étranges. Il arrive à des heures indues. Quelque gêne qu’il apporte avec lui, il est parfois difficile d’accueillir comme il faut le plus étrange des hôtes… C’est un visiteur… Nous l’espérons parfois des nuits durant. Nous allumons, la lampe, nous lisons, nous regardons des images, nous nous servons à boire, nous buvons, nous rêvons, mais il ne vient pas. Quand il arrive, il réclame sa place, il tend l’étoffe, il se presse contre la cuisse de la dormeuse. S’il n’est pas reçu très vite, avec joie et chaleur, il se vexe et il s’en va… C’est un orphelin qui hurle et dont les pieds trépignent pour réclamer le lait tiède de sa mère. C’est un fils prodigue qui revient à la demeure de son père. (…) Nulle part il n’est pensionnaire. Nulle part il ne s’installe à demeure. Personne ne le commande. Il déserte on ne sait pourquoi. Il envahit on ne sait quand. Il peut surgir dans le deuil lui-même. Il faut accepter de ne pas le comprendre. Et profiter, quelque lassitude ou quelque gêne qui s’ensuivent, de son arrivée inopinée, de sa fureur imprévisible. »  Un souvenir indécent, Augustina Izquierdo.

 

- Extrait de mon roman "Sève d’automne".

La scène se passe pendant une veillée à la campagne.

 

Étiennette laisse le temps du silence, puis s’adresse à René.

— Vous en avez aussi des sorcières par chez vous ?

— Oui, c’est un peu les mêmes, je vais vous raconter…

René se lève et regarde chacun comme s’il le prenait à témoin.

Je vais vous raconter une histoire ou, plutôt, une devinette, vous me direz à la fin si vous avez trouvé de qui je veux parler…

Silence… et Louis pense « une sorcière passe » !

Oui, j’ai envie de vous parler d’une espèce de femme que vous avez sûrement déjà rencontrée, une drôle de créature ! Elle entre dans votre vie comme une bourrasque qui pousse la porte et soulève tout à l’intérieur.

La flamme des lampes vacille, les ombres bougent, quelque chose de froid se faufile sous les chemises.

Il n’y a pas besoin d’aller loin, c’est elle qui vient vous voir. Pourquoi vous ? Peut-être l’avez-vous vous appelée une fois, sans vous en rendre compte, va savoir comment les choses arrivent… Oui, elle entre d’un coup, mais on ne la remarque pas tout de suite. Tiens, si elle entrait ici maintenant elle s’assiérait là, sur cette chaise vide loin du feu.

Tous les regards s’y fixent… Il y a beaucoup de chaises vides, Louis le remarque soudain.

La plupart du temps, au début, elle se tient toujours un peu en arrière, les yeux baissés, des yeux gris qui semblent ne pas voir, ils absorbent les choses, les digèrent et, plus tard, elle les recrache par courtes phrases sèches. Des yeux qui coulent, des petits paquets suintent.

« Tu as vu, l’autre, ce qu’il a dit ce soir ? »

Elle n’insiste pas. Sa mise est modeste, fichu gris assorti à ses yeux, cheveux tenus sous un foulard, on la croirait sans charme et puis, un jour, un soir ou un matin, elle retire son fichu et là, c’est incroyable, une chevelure rousse, somptueuse, puissante, qui brille tant que le regard s’y noie. On ne voudrait plus la quitter. Elle se recoiffe d’un petit geste nerveux, s’excuse presque et se rassoit dans un coin. Elle est fine, un peu efflanquée même au début, elle a dû errer sur de longs chemins, mais, dans l’ombre, elle prend de l’appétit. Elle vous dit…

— Si tu me donnes de bonnes choses à manger, je te remontrerai le feu qui se cache sous mon bonnet.

Elle est pleine de colifichets qu’elle fait tinter quand vous êtes seuls le soir, que le temps est maussade et vous aimez ce bruit, alors vous lui donnez des morceaux de votre repas, elle veut les meilleurs et puis, elle raconte…

— Tu sais, j’ai vu…

Elle ne raconte pas de belles histoires, non, des histoires qui assombrissent le paysage, tout devient gris et sale comme le coin de ses yeux, on ne pense qu’au soleil qu’elle nous a promis alors on l’écoute, on voudrait qu’elle découvre la lumière…

Peu à peu, on ne sait pas comment, elle s’est installée, elle a quitté sa paillasse, elle trône devant le feu maintenant. On ne lui refuse rien, on veut qu’elle montre, qu’elle raconte toutes ses histoires où l’on a le beau rôle, les autres sont mauvais, c’est elle qui l’explique, elle le démontre à chaque heure du jour. Elle nous fait voir tout ce que l’on n’avait pas remarqué. Et alors, tout le jour on ne pense plus au travail, mais à elle, on la cherche, on la suit, on l’appelle :

— Dis-moi ! Dis-moi encore !

Et, quand elle refuse, il vous vient un drôle de mal, ça gratte à l’intérieur. Elle seule connaît les onguents, soulage des démangeaisons, on ne peut plus s’en passer.

Elle vous regarde avec ses petits yeux de sanglier…


— C’est que, je ne sais pas tout, pas encore. Il me faudrait un meilleur lit.

Un grand lit ! Car elle a grossi, la matrone ! Plus ça nous gratte et plus elle enfle, bientôt elle ne pourra plus passer la porte, elle est trop large pour sortir, il faudra la garder à l’intérieur. Et puis grande aussi, grande, forte et maline. Elle qui avait l’air si timide au début !

— Dis-moi encore !

Et elle exige, il faut la prendre dans son lit. Elle est laide, pointue sous ses rondeurs, mais on la garde tout près de soi, sans son vinaigre plus rien n’a de goût. De toute façon, c’est elle qui mange tout, il ne vous reste plus que le jus qu’elle distille.

Le jour, vous vous promenez ensemble et la nuit, c’est pire, elle encourage la nudité des instincts et des mauvais sentiments et puis, parfois, sans même que l’on demande, elle montre le feu qui brûle sous son fichu, d’un grand geste et la vie semble belle un instant, la vie s’élargit et, après, cela vous manque encore plus !

Alors on se fait une existence à deux, avec elle. Ce qu’elle aime ce sont les petites habitudes, des petits rituels qu’il faut refaire chaque jour. Regarder, noter, interpréter… Ne plus être au-dedans de soi, mais en observation. Un peu comme un soldat avant l’attaque ou plutôt, une sentinelle. Peu à peu, ces rituels occupent toute la journée, toutes les pensées, surveiller, se morfondre, être inquiet, c’est elle qui mène la sarabande et elle vous fait danser, une danse farouche qui coupe l’appétit. Plus le temps de s’ennuyer, on la porte en soi comme un enfant qui vous mangerait au-dedans. Non, on ne s’ennuie plus avec elle, jamais !

Et peu à peu, on s’y installe, on respire son air, on voit à travers elle, on sent par son parfum qui pose un voile gris sur tout. Oui, car depuis longtemps déjà elle a tout fait repeindre dans votre maison, tout de la même couleur morose. Mais attention ! Elle a des avantages.

Cette histoire bizarre aimante les regards, les fronts se plissent, cherchent à comprendre. René se tourne vers Louis.

Plus le temps de penser à la guerre. Elle vous oblige à bouger, il faut courir quand elle vous envoie en éclaireur, une vraie gymnastique du corps et de l’esprit qui doit chercher partout. Et puis, c’est un sacré professeur, quand on l’a bien installée, elle vous donne tout. Elle fait de vous un être en éveil qui doit tout surveiller, vivre comme un espion ! Vous savez ce que c’est un espion ?

Les visages acquiescent…

Virtuosité de l’œil, approfondissement de l’ouïe, odorat émoustillé… Elle vous apprend comment garder les narines ouvertes et puis la marche silencieuse, faire attention à la qualité du sol et de l’air, de la lumière… Il faut creuser, forer, tarauder.

Remarquez, tout ça, c’est plus facile que de construire, monter, tenir en équilibre, oui, tendre la main est bien plus difficile que tendre l’œil pour espionner. Quand on espionne, on ne tousse plus, on ne tombe plus, on a une énergie mauvaise qui se nourrit de vous.
Et puis un jour, vous êtes cuit ! On la retrouve en majesté, régnante, elle a lâché ses cheveux, elle est belle, elle domine et les rituels se font féroces. Elle a gagné ! On a la haine au cœur, la tête en feu. Plus de courage pour se battre contre elle. Plus d’amis, de famille, il n’y a plus qu’elle.

On se retrouve seul avec des envies de tuer et il faut l’épouser ou bien devenir fou.

Alors ? Vous avez deviné ?

 

 

 

 

Harmoniques

Dire n’être pas « d’humeur » à écouter cette fluidité pianistique, un peu trop ruisselante, par exemple, serait plus opportun à formuler qu’un définitif J’aime pas, sorte d’occlusion mentale digne des réseaux sociaux. La virtuosité peut lasser, le beau lui-même indisposer, jamais ne se lassera notre humeur de disposer pour nous de nos jugements esthétiques, de nos diktats et oukases, de nos engouements.

Soyons Pénélope et reprenons la tapisserie de notre écoute jusqu’à ce qu’enfin l’humeur soit sinon plus juste du moins favorable à cette interprétation allègre d’Ondine et qu’elle nous fiche la paix.

De même, en travail d’écriture, après une longue contention, l’humeur, enfin bien disposée, libère une écluse, et ce n’est pas l’inondation d’un barrage qui cède – ayant à présent assez du métier de marinier – mais le sillage d’une flottille de canards nageant en cadence au-devant d’une barque lente à rameur et jeune fille avec ombrelle…

L’humeur, notre petite amie la plus capricieuse, la plus déroutante, la plus immensément fidèle. L’humeur, tout ce qui nous reste des vieilles Muses.

Michel castanier

 

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