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Ehpad... extrait de mon roman L'Autre d'une femme

 Un geste de la main vers le sourire de la secrétaire derrière sa vitre et, une fois de plus, je me faufile dans ton monde. L’itinéraire, je le connais par cœur, je me sens maintenant chez moi dans cet univers auquel je suis attachée par ton souffle. Et je voudrais que cela dure encore, les couloirs, les soignants, la chambre, les résidents et toi.

Tout cela a un nom, l’Ehpad. Un petit monde clos à la fois dur et tendre.

L’Ehpad, c’est la facilité de l’acronyme. La dépendance a disparu, la personne, l’âge aussi, il reste les initiales, la structure, comme une boite, « être dans un Ehpad ».

Un mot comme un rideau, épais, on ne voit rien à travers, pas de couleur, pas d’odeur surtout, on a si peur de sentir l’odeur des vieux.

Un mot couloir, un mot mouroir qui n’ose pas son nom, la dernière demeure de notre monde.

On n’en sort pas vivant, je n’en sortirai pas indemne.

Le lieu de notre « fin de vie » qui ne veut pas choisir entre finir et vivre alors il organise la contradiction, faire vivre sans la vie, soigner sans l’espoir de guérir, orchestrer ce qui reste.

Cela se résout par un autre mot : on pallie.

Pallier, le mot qui conclut chaque aventure dans l’Ehpad.

Pallier, c’est soulager aussi.

E.H.P.A.D ? Toi qui flottes dans cet entre-deux, au milieu du fleuve, dis-moi, est-ce encore un peu de vie ou déjà autre chose ? J’écoute, je regarde, il semble que tu me réponds, mais non, tu es refermée sur toi-même. Je me lève, saturée de silence. Qu’est-ce que je fais ici ?

Et puis, épinglée sur la porte de ta salle de bain, j’aperçois une liste.

Madame E. réunion du 02/02/20…

Baisser le rideau le matin…

L’après-midi, mettre la musique…

Masser… points de contact…

Surveiller… escarres…

Vérifier… signes de douleur…

Veiller à… Contrôler… Adapter…

Ne pas oublier…

Médical et sensible. Inhumain, désespérant. Généreux.

C’est aussi ça, parfois, l’Ehpad, j’en ai les larmes aux yeux.

 

 

Sylvie R. B.

 

 Ehpad... extrait de L'Autre d'une femme deSylvie Reymond Bagur

 

Ehpad... extrait de  mon roman L'Autre d'une femme

Incipit de mon roman Sève d'automne

Et quand le lierre se mettra à fumer, vous vous direz, il n’y a pas de fumée sans cause comme il n’y a pas de rumeur sans quelqu’un pour y mettre le feu. Alors vous descendrez le chemin en terrasses et l’amas de végétation se fera tas de pierres, restes de mas, souvenir de bâtisse qui se maintient encore çà et là.

Et vous avancerez, hésitant, ferez le tour, à l’aventure. Comme ce devait être grand ! Le cœur s’agitera, vous serez un explorateur. D’un pan de pigeonnier, vous ferez un donjon et le regard s’affolera, vous serez le prince d’un conte, une belle dort et attend sous l’entrelacs des ronces…

Et soudain, au détour d’un coin de mur, il sera là, face au soleil, assis sur son banc de schiste, si vieux, avec un drôle de nez, une jambe qui tremble.
— Bonjour. Je suis content de vous voir.


Et vous serez un imbécile, vous n’aurez que des mots qui ne conviennent pas à ce lieu, à cet homme, à l’époque dont il semble surgir.

— Je n’ai rien à vous offrir à boire… attendez !


Et il se lèvera, serpentera sur ses pattes folles, disparaîtra sous les voutes.

Et vous resterez là, pensant que cela fait des mois que vous passez chaque jour au-dessus de ce mas et que vous n’aviez rien remarqué. Mais, déjà, il sera revenu, serrant dans ses mains un bocal de verre et un petit bâton qu’il plongera dans le pot.

— Goûtez.

Moins d’un instant pour hésiter et…

— C’est pour vous, j’y tiens !

Vous lécherez le bois et votre langue explose sous des senteurs de châtaigniers et de bruyère, vous en fermez les yeux.

— Il est bon, hein ! C’est le miel de mes bruscs !

Vous ne connaîtrez pas le mot, mais vous saurez qu’il ouvre une grotte magique, comme tant d’autres, clède, sube, tancat, blanchettes… les clés d’une grotte perdue. Vous êtes à l’entrée, de la lumière filtre par la fente de ces noms mystérieux, ça brille à l’intérieur, les Cévennes y dorment, repliées sous les mots, sous la poussière des choses qui n’ont plus cours. C’est loin et pourtant, juste là, comme ce mas en ruines, comme cet homme. Vous voudriez vous rapprocher encore, vous tenterez de vous hisser, répéterez le mot.
— Des bruscs ?
— Des ruches troncs.

Un silence se glisse et vous le remplirez trop vite, pressé d’imaginer des arbres nids d’abeilles, des forêts qui bourdonnent, des clairières odorantes où du nectar doré dégorge sur la mousse…
Vous serez restés sur le seuil.
— C’est que, vous savez, personne ne vient jamais me voir. On a dû vous parler de moi ?

Et vous ferez un geste de la tête, un geste qui avouera qu’à cet instant vous ne savez plus rien.
— Non ? On ne vous a pas raconté l’histoire du Louis et de sa famille ?

Et vous le regarderez enfin, un homme avec un nom et une histoire et, face à ce visage défait qui vous livre sa solitude, vous aurez un peu honte de vos phantasmes de citadin, « les Cévennes », châtaignes et vieilles pierres, tombes abandonnées en plein champ… Assez rêvé ! Il ne sera plus temps de croire que le passé est le plus bel endroit du monde, il n’est que l’ombre du présent, il suffit de vous retourner pour le voir.
C’est cela que vous dira ce visage ruiné.
— Louis et sa famille, euh… non, on ne m’a rien dit…

Et vous vous tairez, vous aimeriez tant entrer dans cette histoire.
— Ah bon, alors c’est qu’ils sont tous morts et c’est tant mieux. Et oui, c’est moi, Louis…
Est-ce lui qui chuchote ? Ou quelque chose en vous qui parle à sa place, comme une envie qui viendrait vous prendre, vous aussi, l’envie de mettre un peu de piquant dans l’histoire avant même de commencer ?

— C’est moi, Louis… l’assassin.  

 

 

Sylvie R. B.

 

 

 Incipit de Sève d'automne, roman de Sylvie Reymond Bagur

La suite à dévouvrir dans mon roman Sève d'automne

 

Incipit de  mon roman Sève d'automne

Miroir

Entre mes doigts nerveux, une chose noire cerclée de blanc. Froide, sombre. Un petit lac aveugle que je tiens serré, que j’ausculte comme une boussole dans le désert. Dentiste, agence, Michel… Mon index balaye l’écran poussant et repoussant loin de moi la balançoire du quotidien. Des 06, un 09… des numéros qui n’ont rien à me dire, que je franchis comme des obstacles. De simples numéros, ce n’est pas de cela dont j’ai besoin. 07…, Madame… Les chiffres et les lettres se brouillent dans le défilement des choses et des gens de ma vie, proches, inconnus, tous silencieux en ce moment d’urgence. Inexistants. De simples signes sur fond blanc. 

Miroir
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