La focalisation externe, un outil littéraire spécifique
Rappelons que la focalisation externe consiste à raconter d'un point de vue sans intériorité humaine, elle donne des faits bruts, se bornant à décrire leur déroulement concret. Le narrateur semble privé de toute capacité d'interprétation des phénomènes qui lui parviennent. Il décrit objets ou personnages sous leur aspect strictement extérieur, il reste objectif comme un scientifique devant une expérience et n'accède pas aux pensées ou sentiments des personnages.
On peut avoir une image de ce narrateur neutre et distant en pensant aux enregistrement d'une caméra de surveillance. Le narrateur est "extérieur" à la scène racontée et restitue les détails concrets comme un témoin impartial.
Il faut noter qu'il existe peu, ou pas si on la prend au sens le plus strict, d'œuvre un peu conséquente qui parvienne à maintenir une écriture en focalisation externe dans sa totalité.
Parmi les trois types de focalisation définis par Gérard Genette (voir l'article
Focalisation et point de vue ) la focalisation externe est celle qui peut sembler la moins "naturelle" ou spontanée. Quand on la rencontre, que l'on sache la reconnaitre ou la nommer, là n'est pas l'important, elle déstabilise le lecteur, ou tout au moins le sort de ses habitudes (à moins bien sûr qu'il soit un grand lecteur du Nouveau Roman, des polars amréicains du XXe ou des nouvelles de Carver). Elle interroge à la fois sur ses spécificités stylistiques, sur la recherche et les objectifs de l'auteur et les effets qu'elle produit.
C'est donc la focalisation externe qui met le plus en évidence les liens entre stratégies d'écriture, façon de raconter et vision de la société et de l'humanité de l'auteur. Elle relie de façon passionnante choix technique et conception philosophique ou idéologique.
Caractéristiques et marqueurs stylistiques de la focalisation externe
- Le narrateur n'a pas d'accès aux pensées, émotions ou motivations des personnages.
- Le narrateur ne sait que ce qu'il voit et il n'en pense rien.
- Il en sait moins que les personnages. Il n'explique pas pourquoi un personnage agit de telle manière, il semble simplement l'ignorer, les motivations ne semblent pas exister pour lui, il ne fait que rapporter ce qui est visible ou audible.
- Un texte en focalisation externe se caractérise par l'absence d'introspection : pas de monologue intérieur ou réduit au minimum dans des acceptions moins strictes.
- Le récit ne révèle jamais les pensées et les sentiments des personnages directement, mais les laisse deviner au travers de leurs gestes ou de leurs paroles restituées de façon directes. Par exemple un personnage n'est pas désigné comme "en colère", mais "il serre les poings".
- Cette recherche d'objectivité se fait notamment par un rapport spécifique au vocabulaire : il faut choisir des mots neutres, non qualiatifs, non expressifs, non émotionnels.
- D'où l'importance des verbes d'action et de perception sensorielle neutres. Le texte privilégie des descriptions factuelles, basées sur les sens (vue, ouïe), sans interprétation psychologique. Par exemple : "Il entra dans la pièce, posa son chapeau sur la table et s'assit sans un mot."
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- L'on note aussi l'absence de verbes faisant référence à une vie intérieure : pas d'expressions comme "il pensa", "il se sentit triste" ou "elle regrettait". Le lecteur peux tenter d'inférer cette vie intérieure, mais uniquement à partir des comportements observables.
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- D'où une impression voulue de froideur et d'impersonnalité : cette impression est-elle dépassable ou coonstitutive de la réalité humaine ? Qu'est-ce qui se cache derrière l'absence apparente d'intériorité ? Les réponses dépendent des motivations qui ont conduit l'auteur à ce choix si particulier. Nous y reviendrons dans le bref historique de la focalisation externe.
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- Même si c'est une constante de la focalisation externe, le niveau d'exigence en matière de neutralité du vocabulaire est variable. Certiains auteurs peuvent placer son curseur très haut :
- Par exemple préférer "plaie", plus factuelle, médicale à "blessure" qui comprend une dimension interne de douleur et connote quelque chose comme un acte violent.
- De même, "Manger" est neutre, factuel. On peut "manger en grande quantité et avaler rapidement son repas", mais "Bouffer" implique un jugement, un regard humain : le verbe sera, dans une approche stricte, recalé !
Même en dehors de cette recherche de neutralité, ces différences d'effet produit par le choix d'un mot ou d'un verbe sont intéressantes à remarquer : elles "teintent" émotionnellement différement le texte, un seul mot comme « douleur » déclenche un mouvement spontané, même minime, d'empathie.
- Après toutes ces restrictions, qu'est-ce qu'il reste? Que mettre dans le texte à la place de l'empathie, des commentaires du narrateur, des explications, des pensées ? Le récit se veut objectif, il va donc se concentrer sur ce qui peut être écrit de façon objective (en tout cas en apparence, nous verrons que cette objectivité, n'est pas LA restitution fidèle de la réalité, mais une stratégie de restitution du réel parmi d'autres). Il privilgie donc :
- les actions et les gestes décrits de façons objectives: la présence des corps, mais comme des objets, des mouvements dont le sens n'est pas donné, des machines, des mécanismes.
- les dialogues sans incises explicatives d'émotions ou d'intentions.
- les descriptions (des humains, objets...) faites de détails objectifs sans évaluation ni jugement.
Pourquoi choisir la focalisation externe ?
Même si cette façon. de raconter a été théorisée de façon précise par Gérard Genette en 1972 dans Figures III, elle existait déjà depuis l'Antiquité sous des formes qui entrent de façon plus ou moins complète dans sa définition. Le désir d'objecivité, de neutralité du regard, fait donc partie des "envies littéraires" dès la naissance de notre littérature. Sa mise en place dans le texte a pris des formes diverses selon les motivations esthétiques, philosophiques et idéologiques des auteurs qui ont évoluées dans le temps tout en restant plus ou moins superposables.
Focalisation externe : des racines antiques qui se prolongent à l'époque médiévale et classique
- Le désir de limiter le récit à des observations objectives et externes (actions, gestes, dialogues, sans accès aux pensées intérieures) est présent dans des œuvres anciennes, traversant les traditions classiques et épiques, souvent sous forme de descriptions factuelles ou de narrations distantes. En voici quelques exemples
- Dès l'Antiquité, des éléments de focalisation externe apparaissent dans les épopées et les récits philosophiques préfigurant le réalisme moderne, exemples que Gérard Genette évoque pour inscrire sa classification des focalisations dans la tradition littéraire longue.
De nombreux chapitres de L'Iliade et de L'Odyssée d'Homère (VIIIe siècle av. J.-C.) commencent "
in medias res" (au milieu des choses) technique d'Incipit prisée par la littérature contemporaine (à retrouver en détail dans l'article
Incipit, comment commencer?) et comportent des suites d'actions racontées de façon très objectives.
- Voici un extrait de l'épisode de l'aveuglement du Cyclope dans L'Odyssée d'Homère. La scène se déroule sans quasiment aucune indication sur les pensées, intentions ou sentiments des personnages. J'ai souligné les courts passages qui n'entrent pas dans une focalisation externe stricte. Le vocabulaire ne l'est pas de façon aussi précise que dans certains textes du XXe, mais la description de l'action gagne par ce choix de l'extériorité une force et une efficacité indéniable :
"Aussitôt je mis l'épieu sous la cendre, pour l'échauffer ; et je rassurai mes compagnons, afin qu'épouvantés, ils ne m'abandonnassent pas. Puis, comme l'épieu d'olivier, bien que vert, allait s'enflammer dans le feu, car il brûlait violemment, alors je le retirai du feu. Et mes compagnons étaient autour de moi, et un Daimôn nous inspira un grand courage. Ayant saisi l'épieu d'olivier aigu par le bout, ils l'enfoncèrent dans l'œil du Kyklôps, et moi, appuyant dessus, je le tournais, comme un constructeur de nefs troue le bois avec une tarière, tandis que ses compagnons la fixent des deux côtés avec une courroie, et qu'elle tourne sans s'arrêter. Ainsi nous tournions l'épieu enflammé dans son œil. Et le sang chaud en jaillissait, et la vapeur de la pupille ardente brûla ses paupières et son sourcil ; et les racines de l'œil frémissaient, comme lorsqu'un forgeron plonge une grande hache ou une doloire dans l'eau froide, et qu'elle crie, stridente, ce qui donne la force au fer. Ainsi son œil faisait un bruit strident autour de l'épieu d'olivier. Et il hurla horriblement, et les rochers en retentirent. Et nous nous enfuîmes épouvantés. Et il arracha de son œil l'épieu souillé de beaucoup de sang, et, plein de douleur, il le rejeta."
- Autre exemple célèbre, le bouclier d'Achille dans le Chant XVIII de L'Iliade d'Homère, lui aussi correspond à une focalisation externe presque stricte : le narrateur se limitant à ce qui est visible ou audible, sans plonger dans les pensées des héros.
"Ayant ainsi parlé, il la quitta, et, retournant à ses soufflets, il les approcha du feu et leur ordonna de travailler. Et ils répandirent leur souffle dans vingt fourneaux, tantôt violemment, tantôt plus lentement, selon la volonté de Hèphaistos, pour l'accomplissement de son oeuvre.
Et il jeta dans le feu le dur airain et l'étain, et l'or précieux et l'argent. Il posa sur un tronc une vaste enclume, et il saisit d'une main le lourd marteau et de l'autre la tenaille. Et il fit d'abord un bouclier grand et solide, aux ornements variés, avec un contour triple et resplendissant et une attache d'argent. Et il mit cinq bandes au bouclier, et il y traça, dans son intelligence, une multitude d'images. Il y représenta la terre et l'Ouranos, et la mer, et l'infatigable Hélios, et l'orbe entier de Sélènè, et tous les astres dont l'Ouranos est couronné : les Plèiades, les Hyades, la force d'Oriôn, et l'Ourse, qu'on nomme aussi le Chariot, qui se tourne sans cesse vers Oriôn, et qui, seule, ne tombe point dans les eaux de l'Okéanos.
Et il fit deux belles cités des hommes. Dans l'une on voyait des noces et des festins solennels. Et les épouses, hors des chambres nuptiales, étaient conduites par la ville, et de toutes parts montait le chant d'hyménée, et les jeunes hommes dansaient en rond, et les flûtes et les kithares résonnaient, et les femmes, debout sous les portiques, admiraient ces choses.
Et les peuples étaient assemblés dans l'agora, une querelle s'étant élevée. Deux hommes se disputaient pour l'amende d'un meurtre. L'un affirmait au peuple qu'il avait payé cette amende, et l'autre niait l'avoir reçue. Et tous deux voulaient qu'un arbitre finît leur querelle, et les citoyens les applaudissaient l'un et l'autre. Les hérauts apaisaient le peuple, et les vieillards étaient assis sur des pierres polies, en un cercle sacré. Les hérauts portaient des sceptres en main ; et les plaideurs, prenant le sceptre, se défendaient tour à tour. Deux talents d'or étaient déposés au milieu du cercle pour celui qui parlerait selon la justice.Puis, deux armées, éclatantes d'airain, entouraient l'autre cité. Et les ennemis offraient aux citoyens ou de détruire la ville ou de la partager, elle et tout ce qu'elle renfermait. Et ceux-ci n'y consentaient pas, et ils s'armaient secrètement pour une embuscade, et, sur les murailles, veillaient les femmes, les enfants et les vieillards. Mais les hommes marchaient, conduits par Arès et par Athènè, tous deux en or, vêtus d'or, beaux et grands sous leurs armes, comme il était convenable pour des Dieux ; car les hommes étaient plus petits. Et, parvenus au lieu commode pour l'embuscade, sur les bords du fleuve où boivent les troupeaux, ils s'y cachaient, couverts de l'airain brillant."
Lire la totalité de l'extrait ici : Le bouclier d'Achille
- Plus étonnant encore, l'on peut considérer Platon comme un précurseur de Gérard Genette concernant la focalisation externe ! Dans le Livre III de La République, Platon distingue en effet la mimésis (imitation directe, où le narrateur se fait passer pour le personnage en adoptant sa voix, comme dans les dialogues ou le drame) de la diégèse, proche de l'idée de focalisation externe (narration extérieure, où le conteur relate les événements en restant à sa place, sans imitation).
Cette distinction vise à analyser les modes de récit poétique, et Platon illustre cela en réécrivant une scène de L'Iliade de façon extérieure pour montrer la différence.
On peut retrouver ici une distinction qui revient si souvent en atelier d'écriture : la mimésis correspond au "montrer" (mettre sous les yeux du lecteur comme s'il y était), tandis que la diégèse équivaut au "raconter", que je remplace pour le différencier plus nettement par "expliquer" (faire un compte rendu extérieur qui va synthétiser et faire appel à la compréhension du lecteur et non à l'identification ou l'immersion) en condenseant les actions observables, éliminant les pensées, émotions et certains aspects sensoriels jugés non indispensables.
Extrait de La République :
"Si en effet Homère, après avoir dit que Chrysès vint avec la rançon de sa fille supplier les Achéens et en particulier les rois, continuait à parler, non pas comme s’il était devenu Chrysès, mais comme s’il était toujours Homère, tu comprends bien qu’il n’y aurait plus imitation, mais simple récit. La forme en serait à peu près celle-ci, en prose du moins ; car je ne suis pas poète. « Le prêtre étant venu pria les dieux de leur accorder de prendre Troie en les préservant d’y périr, et il demanda aux Grecs de lui rendre sa fille en échange d’une rançon et par respect pour le dieu. Quand il eut fini de parler, tous les Grecs témoignèrent leur déférence et leur approbation ; seul, Agamemnon se fâcha et lui intima l’ordre de s’en aller et de ne plus reparaître ; car son sceptre et les bandelettes du dieu ne lui seraient d’aucun secours ; puis il ajouta que sa fille ne serait pas délivrée avant d’avoir vieilli avec lui à Argos ; il lui enjoignit de se retirer et de ne pas l’irriter, s’il voulait rentrer chez lui sain et sauf. Le vieillard entendant ces menaces eut peur et s’en alla sans rien dire ; mais une fois loin du camp, il adressa d’instantes prières à Apollon, l’invoquant par tous ses surnoms, et le conjura, s’il avait jamais eu pour agréables les temples que son prêtre avait construits et les victimes qu’il avait immolées en son honneur, de s’en souvenir et de lancer ses traits sur les Grecs pour leur faire expier ses larmes. » bVoilà, mon ami, comment se fait un récit simple, sans imitation."
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- Au Moyen Âge, à la Renaissance, la focalisation externe apparaît dans des récits épiques ou picaresques, souvent pour des motifs d'efficacaité narrative et parfois éthique pour éviter les épanchements considérés comme indiscrets ou inappropriés.
- Citons une œuvre comme Orlando furioso (1516) de Le Tasse au XVIe siècle dans lesquels les narrations épiques et guerrières incluent des passages externes
- À l'Âge classique, la focalisation externe apparait dans les romans et contes pour créer de l'ambiguïté ou une distance morale, souvent dans des récits fortement condensés comme dans certains passages du Don Quichotte (1605-1615) et des Nouvelles exemplaires (1613) de Miguel de Cervantes.
- Voici un exemple un peu curieux dans lequel la répétition finale semble être là pour remplacer les motivations internes non exprimées :
« Le mari entre, et trouve la femme avec un galant ; il se cache, et voit tout ce qui se passe ; la femme dit à son amant : "Ôtons-nous d'ici, car mon mari peut venir" ; l'amant répond : "N'ayez crainte, il est parti" ; la femme dit : "Il est vrai, il est parti" ; et l'amant : "Il est parti, il est parti".
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- Dans Manon Lescaut (1731) de l'Abbé Prévost, une forme d'écriture externe est employée pour dissimuler les sentiments d'un personnage pour faire sentit une ambiguïté, un questionnement éthique sans révéler les pensées qu'ils suscitent, procédé typique des romans du XVIIIe siècle.
Voici un extrait du début du livre illustrant la focalisation externe : le narrateur, un homme de qualité décrit objectivement les actions, apparences et dialogues sans révéler les sentiments ou motivations internes des protagonistes (des Grieux et Manon). Cela crée une ambiguïté éthique – Manon apparaît comme une "fille de joie" déportée, des Grieux comme un jeune homme affligé – l'extériorité suscite la curiosité, le lecteur cherche à comprendre le posiionnement moral des proragonistes. Même si la focalisation externe n'est pas ici stricte, le choix de la distance, de l'extériorité est nettement perceptible.
"Je fus surpris en entrant dans ce bourg, d'y voir tous les habitants en alarme. Ils se précipitaient de leurs maisons pour courir en foule à la porte d'une mauvaise hôtellerie, devant laquelle étaient deux chariots couverts. Les chevaux, qui étaient encore attelés et qui paraissaient fumants de fatigue et de chaleur, marquaient que ces deux voitures ne faisaient qu'arriver. Je m'arrêtai un moment pour m'informer d'où venait le tumulte ; mais je tirai peu d'éclaircissement d'une populace curieuse, qui ne faisait nulle attention à mes demandes, et qui s'avançait toujours vers l'hôtellerie, en se poussant avec beaucoup de confusion. Enfin, un archer revêtu d'une bandoulière, et le mousquet sur l'épaule, ayant paru à la porte, je lui fis signe de la main de venir à moi. Je le priai de m'apprendre le sujet de ce désordre. Ce n'est rien, monsieur, me dit-il ; c'est une douzaine de filles de joie que je conduis, avec mes compagnons, jusqu'au Havre-de-Grâce, où nous les ferons embarquer pour l'Amérique. Il y en a quelques-unes de jolies, et c'est apparemment ce qui excite la curiosité de ces bons paysans. J'aurais passé après cette explication, si je n'eusse été arrêté par les exclamations d'une vieille femme qui sortait de l'hôtellerie en joignant les mains, et criant que c'était une chose barbare, une chose qui faisait horreur et compassion. De quoi s'agit-il donc ? lui dis-je. Ah ! monsieur, entrez, répondit-elle, et voyez si ce spectacle n'est pas capable de fendre le cœur ! La curiosité me fit descendre de mon cheval, que je laissai à mon palefrenier. J'entrai avec peine, en perçant la foule, et je vis, en effet, quelque chose d'assez touchant. Parmi les douze filles qui étaient enchaînées six par six par le milieu du corps, il y en avait une dont l'air et la figure étaient si peu conformes à sa condition, qu'en tout autre état je l'eusse prise pour une personne du premier rang. Sa tristesse et la saleté de son linge et de ses habits l'enlaidissaient si peu que sa vue m'inspira du respect et de la pitié. Elle tâchait néanmoins de se tourner, autant que sa chaîne pouvait le permettre, pour dérober son visage aux yeux des spectateurs. L'effort qu'elle faisait pour se cacher était si naturel, qu'il paraissait venir d'un sentiment de modestie. Comme les six gardes qui accompagnaient cette malheureuse bande étaient aussi dans la chambre, je pris le chef en particulier et je lui demandai quelques lumières sur le sort de cette belle personne. Il ne put m'en donner que de fort générales. Nous l'avons tirée de l'Hôpital, me dit-il, par ordre de M. le Lieutenant général de Police. Il n'y a pas d'apparence qu'elle y eût été renfermée pour ses bonnes actions. Je l'ai interrogée plusieurs fois sur la route, elle s'obstine à ne me rien répondre. Mais, quoique je n'aie pas reçu ordre de la ménager plus que les autres, je ne laisse pas d'avoir quelques égards pour elle, parce qu'il me semble qu'elle vaut un peu mieux que ses compagnes. Voilà un jeune homme, ajouta l'archer, qui pourrait vous instruire mieux que moi sur la cause de sa disgrâce ; il l'a suivie depuis Paris, sans cesser presque un moment de pleurer. Il faut que ce soit son frère ou son amant."
La focalisation externe au XIXe
Après la prorité lyrique et l'épanchement du sentiment intérieur caractéristique du romantisme, l'utilisation de la focalisation externe revient en force avec l'émergence du réalisme et du naturalisme de Balzac à Zola. Elle devient un outil pour des auteurs qui veulent faire, au travers de la littérature, une étude sociale, une étude de moeurs. La focalisation externe et son exigence d'ancrer le récit dans le tangible s'accorde parfaitement avec cette prétention au réalisme objectif et à cet idéal quasi documentaire. Parmi d'innombrables exemples, l'on peut citer Jules Verne qui utilise l'objectivité pour raconter aventures et voyages. avec une dimension scientifique. Le XIXe est l'épque de la naissance du positivisme, de l'essor de la photographie et de la naissance du cinéma, autant de phénomènes qui privilégient et orientent vers tout ce qui est du domaine de l'observable.
- On en trouve des exemples chez chez Victor Hugo (Les Misérables, 1862),comme dans cette ouverture montrant Jean Valjean, voyageur anonyme. Le récit se limite à des observations externes qui donnent au personnage une forte authenticité teintée de mystère. Nous pouvons aussi remarquer comment des dialogues sans incises ni commentaires contribuent à cette impression d'objectivité et d'extériorité.
"Dans les premiers jours du mois d’octobre 1815, une heure environ avant le coucher du soleil, un homme qui voyageait à pied entrait dans la petite ville de D... Les rares habitans qui se trouvaient en ce moment à leurs fenêtres ou sur le seuil de leurs maisons regardaient ce voyageur avec une sorte d’inquiétude. Il était difficile de rencontrer un passant d’un aspect plus misérable. C’était un homme de moyenne taille, trapu et robuste, dans la force de l’âge. Il pouvait avoir quarante-six ou quarante-huit ans. Une casquette à visière de cuir rabattue cachait en partie son visage brûlé par le soleil et le hâle, et ruisselant de sueur. Sa chemise de grosse toile jaune, rattachée au col par une petite ancre d’argent, laissait voir sa poitrine velue; il avait une cravate tordue en corde, un pantalon de coutil bleu usé et râpé, blanc à un genou, troué à l’autre, une vieille blouse grise en haillons, rapiécée à l’un des coudes d’un morceau de drap vert cousu avec de la ficelle, sur le dos un sac de soldat fort plein, bien bouclé et tout neuf, à la main un énorme bâton noueux, les pieds sans bas dans des souliers ferrés, la tête tondue et la barbe longue.
La sueur, la chaleur, le voyage à pied, la poussière, ajoutaient je ne sais quoi de sordide à cet ensemble délabré. Les cheveux étaient ras et pourtant hérissés, car ils commençaient à pousser un peu, et semblaient n’avoir pas été coupés depuis quelque temps.
Personne ne le connaissait. Ce n’était évidemment qu’un passant. D’où venait-il? Du midi, des bords de la mer peut-être, car il faisait son entrée dans D... par la même rue qui sept mois auparavant avait vu passer l’empereur Napoléon allant de Cannes à Paris. Cet homme avait dû marcher tout le jour : il paraissait très fatigué. Des femmes de l’ancien bourg qui est au bas de la ville l’avaient vu s’arrêter sous les arbres du boulevard Gassendi et boire à la fontaine qui est à l’extrémité de la promenade. Il fallait qu’il eût bien soif, car des enfans qui le suivaient le virent encore s’arrêter et boire, deux cents pas plus loin, à la fontaine de la place du marché.
Arrivé au coin de la rue Poichevert, il tourna à gauche et se dirigea vers la mairie. Il y entra, puis sortit un quart d’heure après. Un gendarme était assis près de la porte, sur le banc de pierre où le général Drouot monta le 4 mars pour lire à la foule effarée des habitans de D... la proclamation du golfe Juan. L’homme ôta sa casquette et salua humblement le gendarme.
Le gendarme, sans répondre à son salut, le regarda avec attention, le suivit quelque temps des yeux, puis entra dans la maison de ville.
Le voyageur n’avait rien vu de tout cela.
Il demanda encore une fois :
— Dîne-t-on bientôt?
— Tout à l’heure, dit l’hôte.
L’enfant revint. Il rapportait le papier. L’hôte le déplia avec empressement, comme quelqu’un qui attend une réponse. Il parut lire attentivement, puis hocha la tête et resta un moment pensif. Enfin il fit un pas vers le voyageur, qui semblait plongé dans des réflexions peu sereines.
— Monsieur, dit-il, je ne puis vous recevoir.
L’homme se dressa à demi sur son séant.
— Comment! avez-vous peur que je ne paie pas? voulez-vous que je paie d’avance? J’ai de l’argent, vous dis-je.
— Ce n’est pas cela.
— Quoi donc?
— Vous avez de l’argent...
— Oui, dit l’homme.
— Et moi, dit l’hôte, je n’ai pas de chambre.
L’homme reprit tranquillement :
— Mettez-moi à l’écurie.
— Je ne puis.
— Pourquoi?
— Les chevaux prennent toute la place.
— Eh bien ! repartit l’homme, un coin dans le grenier, une botte de paille. Nous verrons cela après dîner.
— Je ne puis vous donner à dîner.
Cette déclaration, faite d’un ton mesuré, mais ferme, parut grave à l’étranger. Il se leva.
— Ah bah! mais je meurs de faim, moi. J’ai marché dès le soleil levé. J’ai fait douze lieues. Je paie. Je veux manger.
— Je n’ai rien, dit l’hôte.
L’homme éclata de rire et se tourna vers la cheminée et les fourneaux :
— Rien ! et tout cela ?
— Tout cela m’est retenu.
— Par qui ?
— Par ces messieurs les rouliers.
— Combien sont-ils?
— Douze.
— Il y a là à manger pour vingt.
— Ils ont tout retenu et tout payé d’avance,
L’homme se rassit et dit sans hausser la voix :
— Je suis à l’auberge, j’ai faim et je reste.
— L’hôte alors se pencha à son oreille, et lui dit d’un accent qui le fit tressaillir :
— Allez-vous-en.
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Voici un exemple classique de focalisation externe chez Guy de Maupassant, tiré du début de la nouvelle Boule de Suif (1880). Maupassant sera, notamment par sa maitrise de l'extériorité, l'un des inspirateurs des novellistes américains du XXe. Dans cet extrait, le narrateur se limite à des descriptions objectives des mouvements de troupes et des préparatifs du voyage sans aucune incursion dans les pensées, motivations des personnages ou des habitants.
"Pendant plusieurs jours de suite des lambeaux d’armée en déroute avaient traversé la ville. Ce n’était point de la troupe, mais des hordes débandées. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avançaient d’une allure molle, sans drapeau, sans régiment. Tous semblaient accablés, éreintés, incapables d’une pensée ou d’une résolution, marchant seulement par habitude, et tombant de fatigue sitôt qu’ils s’arrêtaient. On voyait surtout des mobilisés, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil ; des petits moblots alertes, faciles à l’épouvante et prompts à l’enthousiasme, prêts à l’attaque comme à la fuite ; puis, au milieu d’eux, quelques culottes rouges, débris d’une division moulue dans une grande bataille ; des artilleurs sombres alignés avec ces fantassins divers ; et, parfois, le casque brillant d’un dragon au pied pesant qui suivait avec peine la marche plus légère des lignards.
Des légions de francs-tireurs aux appellations héroïques : « les Vengeurs de la Défaite — les Citoyens de la Tombe — les Partageurs de la Mort » — passaient à leur tour, avec des airs de bandits.
Leurs chefs, anciens commerçants en draps ou en graines, ex-marchands de suif ou de savon, guerriers de circonstance, nommés officiers pour leurs écus ou la longueur de leurs moustaches, couverts d’armes, de flanelle et de galons, parlaient d’une voix retentissante, discutaient plans de campagne, et prétendaient soutenir seuls la France agonisante sur leurs épaules de fanfarons ; mais ils redoutaient parfois leurs propres soldats, gens de sac et de corde, souvent braves à outrance, pillards et débauchés.
Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disait-on.
Lire la suite de l'extrait ici Focalisation externe chez Maupassant
La focalisation externe au XXe
Cette chronologie de l'utilisation de la focalisation au XXe est synthétique et schématique. Dans la réalité concrète des textes et des auteurs, les motivations se chevauchent et se ramifient. On peut cependant tracer une progression générale, influencée par des courants comme le réalisme, le modernisme, l'existentialisme et le structuralisme.
Ce qui me semble important de remarquer, c'est que, d'outil narratif, général, applicable à n'importe quel récit pour produire un effet particulier, la focalisation externe, à partir de XXe, s'associe à une esthétique spécifique, liée à une philosophie (le behaviorisme, l'existentialisme, l'absurde, l'antihumanisme, la lutte des classes... ), la distance, l'objectivité, la disparition de l'intériorité ne sont plus seulement des effets rhétoriques (de rythme ou production de mystère par exemple) mais des façons d'introduire des aspects idéologiques ou philosophiques.
Ces utilisations idéologiques de la focalisation externe comme le behaviorisme conduisent à une recherche d'objectivité radicale qui en "extremise" les choix stylistiques.
- Début XXe siècle (années 1920-1930) : influence du behaviorisme et du minimalisme esthétique.
Avec l'essor du modernisme et du behaviorisme psychologique qui renoncent à l'étude des états mentaux pour se concentrer sur les comportements observables, les auteurs adoptent la focalisation externe pour une obtenir une sorte d'objectivité "scientifique" et une économie narrative, créant du suspense via l'implicite. Cette phase marque une rupture avec le réalisme classique et la recherche de l'expression psychologique des personnages. Cette vision behaviouriste porte en elle une vision de l'homme comme un être indéchiffrable et isolé.
- Exemple fondateur : Dashiell Hammett (1894-1961) scénariste et écrivain américain, il est parfois considéré comme le père du roman noir. Il a marqué des auteurs comme Hemingway, Chandler ou Simenon qui ont d'ailleurs reconnu son influence sur leur propre écriture. Son roman noir le Faucon Maltais (1930) a popularisé un style factuel parfois qualifié de "dur", limitant le narrateur à ce qui est visible, un style qui influencera fortement le genre policier voir notamment Jean-Patrick Manchette (La Position du tireur couché, 1981).
Voici deux extraits typiques du «Faucon maltais » et de sa focalisation externe stricte :
«Cairo se glissa derrière lui, passa le pistolet de sa main droite dans sa gauche et souleva le veston de Spade pour visiter la poche revolver. [...] Brusquement le coude s'abaissa. Cairo sauta en arrière, mais insuffisamment. Le talon droit de Spade, lourdement posé sur l'une des bottines vernies, le cloua sur place, tandis que son coude le frappait sous la pommette. Il bascula, mais le pied de Spade, posé sur le sien, le maintint en place.»
« Le téléphone se mit à sonner dans l’obscurité. Après trois appels successifs, des ressorts de lits craquèrent, des doigts tâtonnèrent sur du bois, un objet petit et dur tomba sur le tapis. Puis les ressorts craquèrent à nouveau. Une voix d’homme dit :
– Allô ?... Oui, lui-même... Mort ?... Oui... Un quart d’heure... Merci !
II y eut un déclic d’interrupteur électrique. Un plafonnier suspendu par trois chaînes dorées s’illumina.»
- Un autre jalon essentiel est l'écriture d'Ernest Hemingway qui développe sa "théorie de l'iceberg" dans laquelle l'usage d'une focalisation externe stricte repose sur l'idée que la force du texte réside dans ce qui est sous-jacent, ce qui n'est pas exprimé, mais que le lecteur ressent, ce qui le conduit à explorer les possibilités d'une esthétique littéraire minimaliste. Certains passages de "Pour qui sonne le glas" de Hemingway, évitent complètement les inférences émotionnelles subtiles, privilégiant une approche behaviouriste sur une focalisation externe plus souple. Pour lire l'article :Couleurs chez Hemingway
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Voici un extrait de "Hills Like White Elephants", Paradis perdu,(1927). Le thème sous-jacent, l'avortement, reste implicite, "sous la surface" du dialogue en apparence anodin, le thème perce, comme un iceberg, laissant au lecteur le soin de déduire des éléments observables les tensions émotionnelles qui ne seront pas explicitées.
"Les collines, de l’autre côté de la vallée de l’Èbre, étaient longues et blanches. De ce côté-ci, il n’y avait ni ombre ni arbres, et la gare était entre deux lignes de rails, au soleil. Contre la gare, il y avait l’ombre chaude du bâtiment et un rideau de perles de bambou antimouches pendait devant la porte ouverte du café. L’Américain et la fille avec lui s’assirent à une table dehors à l’ombre. Il faisait brûlant et l’express de Barcelone arriverait dans quarante minutes. Il s’arrêtait deux minutes à cet embranchement et continuait vers Madrid. « Qu’est-ce qu’on pourrait boire ? » demanda la fille. Elle avait enlevé son chapeau et l’avait posé sur la table. « Qu’est-ce qu’il fait chaud, dit l’homme.
— Buvons de la bière.
— Dos cervezas, dit l’homme vers le rideau.
— Des grandes ? demanda une femme depuis la porte.
— Oui. Deux grandes. » La femme apporta deux verres de bière et deux ronds de feutre. Elle posa les ronds de feutre et les verres de bière sur la table et regarda l’homme et la fille. La fille regardait au loin la ligne des collines. Elles étaient blanches dans le soleil et la campagne était brune et sèche. « On dirait des éléphants blancs, dit-elle.
— Je n’en ai jamais vu, dit l’homme en buvant sa bière.
— Non, tu n’aurais pas pu.
— J’aurais pu, dit l’homme. Que tu dises que je n’aurais pas pu ne prouve rien. »
La fille regarda le rideau de perles. « On a peint quelque chose dessus, dit-elle. Qu’est-ce que ça dit ?
— Anis del Toro. C’est une boisson.
— On l’essaie ? » L’homme cria « s’il vous plaît ! » à travers le rideau. La femme sortit du café.
— Nous voulons deux Anis del Toro.
— Avec de l’eau ?
— Le veux-tu avec de l’eau ?
— Je ne sais pas, dit la fille. C’est bon avec de l’eau ?
— Oui. — Vous les voulez avec de l’eau ? demanda la femme.
— Oui, à l’eau. Un chat sous la pluie et autres nouvelles…
— Ça a un goût de réglisse, dit la fille en reposant son verre.
— C’est comme tout."
Lire l'extrait complet ici : La théorie de l'Iceberg chez Hemingway
- Dans les années 1940-1950, se développe une vision existentialiste de l'homme qui pose la question de la liberté individuelle et de la contrainte sociale. Peu à peu, après-guerre, la focalisation externe sert à représenter l'absurdité humaine et l'aliénation sociale, reflétant une philosophie pessimiste où l'intériorité est inaccessible. Le lecteur n'est plus incité à interpréter, il est forcé à se positionner face à des questionnements éthiques sous-jacents.
- L'exemple emblématique reste L'Étranger d'Albert Camus (1942) dans lequel une focalisation externe plonge le lecteur dans un univers absurde. L'attitude, non explicitée du personnage central, Meursault qui vit sa propre histoire comme un observateur détaché, critiquant les normes sociales et judiciaires, crée une impression de distance qui questionne la condition humaine et met l'accent sur sa dimension sociale et historique.
- Remarquons que, dans l'Etranger, l'usage de la première personne qui pourrait paraitre contradictoire avec l'idée de focalisation externe, mais qui, en fait la redouble : le sujet est à l'extérieur de lui-même.
- Les années 1950-1970 sont marquées à la fois par la montée en puissance des questionnements idéologiques et des expérimentations formelles. Avec le Nouveau Roman et la narratologie structurale, la focalisation externe s'intègre à un large mouvement de déconstruction narrative (refus du personnage, du lyrisme ), elle devient un outil idéologique pour subvertir les conventions réalistes dites "bourgeoises", questionnant la notion de fiction et la subjectivité comme des illusions idéologiques. C'est ce que Nathalie Saraute appellera : "L'ère du soupçon". Cette ère structuraliste (influencée par Roland Barthes et Michel Foucault radicalise la focalisation externe. L'écriture, devenue acte de subversion, impose un anti-humanisme où l'homme est réduit à un objet observé.
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- Exemple emblématique : La Jalousie d'Alain Robbe-Grillet( 1957) qui utilise la focalisation externe dans des descriptions répétitives et objectives, critiquant la société consumériste et déconstruisant le roman traditionnel.
- La place de la focalisation externe dans la fin du XXe et le début XXIe siècle est difficile à synthétiser. Dans la littérature de masse, celle de la plupart de best-sellers et des autofictions à succès, la focalisation interne et les approches psychologiques dominent. Cette évolution reflète des tendances plus larges : une quête d'immersion émotionnelle, d'identification rapide du lecteur, et la recherche d'une "écriture facile" qui privilégie l'engagement direct plutôt que l'interprétation subtile du type "iceberg".
Cependant la focalisation externe, même très minoritaire, n'a pas disparu.
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- On peut la retrouver sous des formes hybrides post-modernes liées à des préoccupations éthiques contemporaines (écologie, minorités, monde fragmenté...) et certains auteurs l'utilisent dans des expérimentations formelles pour des "unnatural narratives".
- On la retrouve ainsi dans l'écriture socio-ethnographie dite "plate" d'Annie Ernaux qui privilégie, malgré sa nature d'autofiction, une dimension idéologique anti-bourgeoise et de pour dénonciation des inégalités.
En conclusion, cette chronologie montre l'évolution de l'usage de la focalisation externe :
- Au départ : elle répond à un désir d'objectvité, d'efficacité dans un soucis de réalisme et de discrétion du narrateur, d'un souhait de laisser plus de place au lecteur à et à son onterprétation
- Sans perdre les dimensions précédentes, elle évolue vers une dimension critique ou expérimentale liée aux préoccupations idéologiques contemporaines et post-modernes.
La focalisation externe reste donc un outil qui contribue, par exemple, à l'atmosphère et au suspense dans certains polars nordiques à succès, toutefois, éclipsée par l'immersion psychologique et sociale plus adaptée à un public contemporain priorisant l'empathie sur l'objectivité, la distance et l'opacité de la subjectivité humaine.
L'exemple de la focalisation externe montre d'une façon particulièrement tangible que les techniques de récit ne doivent pas être considérées comme des "recettes" mais comme des choix possibles, des alternatives qui ont un effet essentiel sur la façon dont le texte donne accès au monde qu'il crée.
Elles interrogent la possibilité d'un regard objectif, notre implication en tant qu'auteur dans les effets produits par nos textes.
L'écriture, art du langage, montre ici clairement sa dimension de regard sur le monde et sur l'être humain.