Où est passée la rime ? L'holorime

Bobby-Lapointe-homophonie

Où est passée la rime ? L'holorime

Jusqu’au milieu du XIXe siècle, poésie et rime allaient systématiquement de pair, Hugo en avait assoupli le rythme, élargi le vocabulaire, mais c’est avec Baudelaire que les deux notions se séparent. Peu à peu, avec les vers libres puis une poésie devenue le lieu d’une exploration formelle sans régle, la rime a disparu. Lorsque l’on utilise le mot « poésie », bien souvent, surgit aussitôt comme une excuse, je veux dire sans rime bien sûr ! Et les poètes contemporains sont souvent attentifs à ne pas rimer.

Contrainte formelle trop rigide reposant sur des associations de mots sur exploitées… les raisons de cette disparition sont nombreuses. On a pourtant pu constater un discret retour de la rime à la fin du XXe, comme il y a eu un renouveau du lyrisme après le Nouveau Roman, réapparition discrète avec des auteurs intéressants comme Jacques Roubaud. Plus inattendus, certains des poèmes de Michel Houellebecq sont écrits sous une forme de sonnets rimés.

Un autre type de rime reste vivante, la rime fantaisiste, humoristique, farfelue et complexe, une rime « plus que riche » - si l’on se réfère à la rime riche classique (trois sons en communs - faite de plusieurs mots qui s’unissent pour constituer le son rimé, c’est celle qui fait rimer « ivresse » avec « vivre est-ce ». À la manière d’Apollinaire qui avait déjà fait rimer « neige » et « que n’ai-je ».

Ainsi :

Vénus luisait, évanescente,
Sur le chevet d’Eva naissant
e

Nous la trouvons dans la chanson, comme ici avec Renaud,

Putain c’qu’il est blême, mon HLM !
Et la môme du huitième, le hasch, elle aime !

Le champion étant à Boby Lapointe.

Le doux minois de la mémé                                                                
Mélanie le mit au dodo                                                                    
Malade, laide, humide au dos
Et lui donna dans deux doigts d’eau…                                  

- Malin la mini élimée                                                       
Mélanie l’a éliminée.

Dans cette péniche.

Ma mère dit la paix niche…

 

 

Il s’agit d’utiliser les codes rythmiques et sonores d’un genre littéraire institué, la poésie, et de les détourner. L’écriture d’un tel poème oblige à jouer avec les mots comme un matériau : jouer avec le sens et avec les sonorités, décaler les frontières entre les mots, jouer avec les associations de mots, les liaisons…

Il faut jongler avec les phrases et leurs divers éléments pour faire des vers, créer la régularité rythmique tout en réussissant à placer les homophonies à la fin.

Une telle pratique, si difficile pour ceux pour qui le français est une langue étrangère, suppose un rapport créatif à la langue, une liberté de parcourir les aller-retour entre sens et graphie.

Cette pratique permet de prendre conscience des zones d’ambiguïté de notre langue et des possibilités d’en jouer : une façon de la manier résolument ludique et décontractée qui recouvre quelque chose de magique : faire apparaitre deux sens sous les mêmes sons, comme une double épaisseur de la langue.

Exemples d’homophonies qui peuvent servir de rimes…

- Eve des forts / rêve d’effort

- Gall, amant de la Reine, alla, tour magnanime,

Galamment de l’arène à la tour Magne à Nîmes.

- des exquis mots /  des esquimaux

-  Une femme : la border / l’aborder

- calvicie / à Calvi , si

- camion si terne / camion citerne

- des si belles / décibels 

- écrivains / écrits vains

- les normes / énormes

-guerre et Paix / guère épais

- hilarant / il la rend

- il est une aile/ tunnel

- l’idole déjeune / l’idole des jeunes

- l’élu net / les lunettes

-   en ont marre tôt / marteau

- pas né / pané

- un sale ami / un salami

- ma femme /m’affame 

-  ivresse  / vivre est-ce ?

de bonheur / de bonne heure

- Vous m’épatâtes / mes patates

- Votre graisse à masser / votre graisse amassée

-  Votre sein doux / votre saindoux

pour l’âme sont / pour l’hameçon

- Ah ! thésaurisons ! /  Vers tes horizons

- mari niais / marinier

- Va Lise / valise

- L’épier / les pieds

- Mari honnête / marionnette

- Lait froid / l’effroi

- La tour magne a Nîmes / la tour magnanime

- D’où te vint / Doute vain

- L’air boulot / L’herbe ou l’eau

- Un vieil armagnac / Un vieillard maniaque

- Ô Seigneur ! / Au saigneur !

- Quelle panse ! / Qu’elle pense

- Où s’était-on perdu ? / Où ses tétons perdus

- quelle était ma querelle ? /  quelle était maquerelle

- le fer a repassé /. le fer à repasser

- Je suis romaine hélas, /  Ménélas

- et j’aime à la vallée  /  et j’aime à l’avaler

- seul à manger m’apporte / seul à manger ma porte

- Sur le sein de l’épouse il écrasa l’époux  / il écrasa les poux

- passages souterrains /  pas sages, sous tes reins (Alphonse Allais)

- des veaux / dévots

- L’aubépine dort sale /épine dorsale

-  Condescendants/ qu’on descend dans

- était ouvert / tout vert

- lit vide  / livide

- comme un vieillard en sort / comme un vieil hareng saur (Adolphe Dumas)

- amour où je vis / âme ou rouge vie

-  non encore né    / non encorné

- lâche, arrête  /  la charrette

-  à régner / araignées

- il se fait tard    /  en péril, ce fêtard

- Étonnamment monotone et lasse  / Est ton âme en mon automne, hélas ! (Louise de Vilmorin)

-  menthes / démente

- l’âme hantée / lamenter

Le vers holorimes

C’est un cas limite pratiqué par les écrivains comme une preuve de leur virtuosité.

Il s’agit de deux vers parfaitement homophones. En voici quelques exemples, le résultat, il faut le reconnaitre, parait le plus souvent un peu tiré par les cheveux.

J’ai souligné les homophonies qui peuvent vous servir de rimes :

- Jeux de mots laids pour gens bêtes.  /  Jeux de mollets pour jambettes.

- Dans ces bois automnaux, graves et romantiques / Danse et bois aux tonneaux, graves et rhums antiques (Jacques Prévert)

-  Ô fragiles Hébreux ! Allez, Rébecca tombe  / Offre à Gilles zèbres, oeufs ; à l’Érèbe, hécatombe.

- Et ma blême araignée, ogre illogique et las / Aimable, aime à régner au gris logis qu’elle a ( Hugo)

- Gall, amant de la reine, alla, tour magnanime / Galamment de l’arène à la tour Magne à Nîmes

- Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses / Danse, aimable laquais, ris d’oser des mots roses (Charles Cros)

- Dans cet antre, lassés de gêner au Palais / Dansaient entrelacés deux généraux pas laids (Cros)

- À l’ombre, à Vaux, l’on gèle. Arrive. Oh ! la campagne ! / Allons – bravo ! – longer la rive au lac, en pagne

- Laisse aussi sombrer tes déboires, et dépêche ! / Lait, saucisse, ombre, thé des poires et des pêches

- Aidé, j’adhère au quai, lâche et rond, je m’ébats / Et déjà, des roquets lâchés rongent mes bas

-  Par les bois du djinn où s’entasse de l’effroi /  Parle et bois du gin ou cent tasses de lait froid (Alphonse Allais)

- Alphonse Allais, de l’âme, erre et se fout à l’eau / Ah ! l’fond salé de la mer ! Hé ! Ce fou ! Hallo (Alphonse Allais)

- Danse, prélat ! L’abbé t’apprit l’air en plain-chant ! / Dans ce pré-là, la bête a pris l’air en plein champ. (Luc Etienne)

Si vous souhaitez être tenu informé des parutions de ce site.