Une phrase court partout : « Tout ce qui est excessif serait insignifiant », une phrase qui a la force de la formule, celle du concentré, le pouvoir de conviction d’un jugement en forme de point final ; elle en a aussi la fragilité, celle de toute généralité, car l’on peut lui répondre - formule pour formule - « Tout ce qui embrasse trop, mal étreint », et l’usage du mot « tout », de l'idée qu'il recouvre est, en lui-même, forcément « excessif », cette phrase qui veut englober une totalité se contredit. Si on l'écoute, seraient donc insignifiants les forte de la musique symphonique ? Ou les contre-ut de la Calas ? Insignifiants, les gestes d’envoutement rituel ? Insignifiants, les moments de passion, de déraison ? Et l’on me répondra que ce sont les mots, quand ils sont excessifs, qui rendent le propos insignifiant, pas les choses ni les actes qu'ils évoquent. Toute envolée verbale, toute accumulation, tout enthousiasme lexical renverraient donc leur auteur du côté de l’insignifiant ? Rejet de la puissance du langage, de sa qualité de flot, de force, jubilatoire ou noire, nous n’aurions droit qu’à la modération, au bain de lecture tiède : quel que soit le sujet, pas d’excès ! Mais s’il est question de mort, de guerre, d’amour, de cri, de désespoir, de révolte, de colère, de passion, de beauté, ne serait-ce pas le neutre, le sage, le « distancié » qui court le risque de « l’insignifiant » ?