Le téléphone portable et l'écriture la littéraire
« Tout relève de l’imagination et de l’imagination tout révèle. Il paraît que le téléphone est utile : n’en croyez rien, voyez plutôt l’homme à ses écouteurs se convulsant, qui crie
Allô ! Qu’est-il qu’un toxicomane du son, ivre mort de l’espace vaincu et de la voix transmise ? » Louis Aragon
« Il y a eu la lessive, le linge qui sèche, le repassage.
Le gaz, l’électricité. Les enfants. » Les choses, Georges Perec
Et j’ajouterai : le téléphone portable, c’est là notre sujet.
Un sujet littéraire ?
Le progrès technique est une donnée incontournable de l’époque contemporaine. Les objets connectés sont des éléments centraux de notre mode de vie et de nos modes culturels. La littérature peut intégrer cette présence de la technique comme une donnée naturelle à l’existence de ses personnages, elle peut en dénoncer les excès, être fascinée ou hostile, mais ne peut pas rester hors de ce phénomène.
On parle même de mutation humaine en décrivant l’homme contemporain accroché à ses écrans, l’homme connecté qui zappe et… lit moins ou ne lit plus du tout.
Ainsi, les objets techniques, éléments de la vie, sont de plein droit des thèmes de la littérature, même si, d’une certaine façon, ils prennent sa place.
Pour Frédérique Toudoire-Surlapierre, le portable « impose à la littérature d’être aussi efficace qu’un coup de téléphone ! », Michel Serres était en extase devant sa manipulation par des poucettes agiles. Nous ne sommes pas obligés de partager ces enthousiasmes, mais il faut l’accepter, bien rares sont ceux qui résistent aux sirènes du téléphone portable. L’écriture, si elle reste proche de la vie, si elle veut restituer la vibration particulière de son époque, peut-elle totalement s’extraire de ce type de sujets ?
Mais comment l'écrire ?
Le piège de ce type de sujet très contemporain, c’est de rester prisonnier de leur aspect habituel et concret, les scènes de pertes ou d'addiction dans la stricte restitution de l'oralité et des formules convenues et répétée, pour le dire simplement, le risque, c'est la banalité.
On peut y échapper par l'utilisation d'un ton original : humour, ironie... aller jusqu'à l'absurde.
Au niveau du style, le propre de la technologie étant de limiter l’accès à notre vie intérieure, est-il légitime d'employer un langage littéraire ? Si l'on ne raconte pas d'une façon extérieure, s'il s'agit d'exprimer l'addiction, le vide, la perte, et même si cela peut sembler paradoxal, les outils littéraires peuvent permettre l'expression des sensations, du trouble du désir, du manque...
La perte du téléphone peut être l’occasion de pendre conscience d’une intériorité masquée sous les appels, les messages , les jeux. Le transfert sur l’objet technologique neutralise les émotions et les angoisses, mais ne les supprime pas, sa perte les fait surgir comme autant de spectres, mais cela peut aussi être une possibilité de se retrouver : se perdre, pour se retrouver autrement. Quelque chose s’ouvre ? Cela peut être un moment d’épiphanie, un autre thème littéraire passionnant.