Le "Voyageur sur terre" est un recueil de quatre nouvelles découvert parmi les lectures de textes fantastiques que j'écume depuis plusieurs semaines : le fantastique est l'un des premiers thèmes de cette nouvelle année d’ateliers. Que ce soit au travers de romans, nouvelles ou livres théoriques, je m'y suis plongé avec, je dois le dire, une certaine volupté.
On entre dans ce recueil comme dans un brouillard. Green est un auteur d’atmosphère, de lieux, maisons, bateaux et paysages comme autant d’univers, presque des personnages. Green m’a fait pensé à un Mauriac qui aurait quelque chose de plus trouble, plus spiritualiste que psychologue. Un auteur plus porté que Mauriac sur les descriptions subtiles, avec une langue plus poétique aussi. La dimension chrétienne est plus nette et plus inquiète..
« Le Voyageur sur la terre », la première et la plus longue des nouvelles nous livre d’entrée l’issue. Puis le personnage se raconte dans un récit intime complété par quelques lettres. Nous ne sommes pas dans le journal du Horla, terrible journal de terreur. À la limite de l’hallucination et du surnaturel, la nouvelle nous entraine dans les méandres d’une trajectoire qui se dissout dans la thématique du double. Trouble, mort mystérieuse, lieux inquiétants, nous sommes sans hésitation dans les parages du fantastique. La fin semble donner une clé réaliste à l’énigme et pourtant laisse la possibilité du surnaturel. Tzvetan Todorov aurait, je pense, accepté l’estampillage « fantastique » pour cette première nouvelle.
Avec la seconde nouvelle, Les Clefs de la mort, la dimension fantastique est plus nettement assumée encore. Le héros, ou plutôt un antihéros, se raconte là aussi au travers de journaux retrouvés dans la maison de son enfance : Ferrière, centre névralgique de l’intrigue, qui est à vendre. Les personnages et leurs relations étonnent, se renversent. La fin est marquée par une dimension chrétienne et surnaturelle.
« Christine » est une nouvelle curieuse, animée par une sorte de tension violente, une sensualité quasi allégorique. Encore plus que dans la nouvelle précédente, beaucoup de choses restent inexpliquées.
La dernière, « Léviathan », courte et originale, nous emporte dans une évocation sensible de la vie en mer, d'une solitude fixée à la ligne d’horizon.
Une gestion un peu particulière — dispersée ? — du point de vue empêche, me semble-t-il, d’aller au bout de l’impression angoissante que suggère le titre. Nous sommes dans une sorte de demi-mystère. Nous sommes placés au départ dans l’intimité du seul et unique passager d’un navire marchand, mais sans connaître ses pensées. Assez rapidement, le texte se place nettement du point de vue du capitaine qui fait face au silence obstiné de son passager. À la fin, petit retour au point de vue du passager « La mine sévère du capitaine l’effraya, sans doute. » : le narrateur omniscient devient moins fiable. Cette forme de narration, avec ces points de vue un peu éclatés, contribue à l’atmosphère trouble de ce Léviathan, mais le prive de force. L’impactde la fin reste plus de l’ordre de la surprise que de l’émotion.
L’enchainement de la lecture de « Christine » — qui se place totalement dans le monologue intérieur du héros avec « je » — et de Léviathan — une omniscience un peu « erratique »— laisse percevoir toute la différence entre les effets produits et les possibilités offertes par ces deux choix de narration.
Constructions variées, art de la description et des paysages, personnages complexes, fins réussies, ces quatre nouvelles peuvent séduire les amateurs du genre et ceux qui en écrivent, même si certaines thématiques ont perdu de leur actualité. Pour ma part, j’aime l’impression de dépaysement supplémentaire qu’apporte la plongée dans d’autres modes de pensée, quand l’écriture est intéressante et c’est le cas.
Ces nouvelles ne semblent pas vraiment chercher à faire peur, elles troublent et, le livre refermé, j’ai gardé l’empreinte des lieux qu’elles font vivre et la sensation de porter en moi certains de leurs personnages énigmatiques et tourmentés.