Écriture du fantastique, importance des sons

Écriture du fantastique, importance des sons

Écrire un roman ou une nouvelle fantastique est indissociable de la création d'une atmosphère particulière. Inquiétude diffuse, peur, terreur ou épouvante, le fantastique joue avec les nerfs du lecteur. Dans cette perspective, la mise en place d'un paysage sonore particulier fait partie des moyens les plus efficaces. Voici un exemple de cette terreur par le son : un extrait de la  nouvelle "Le Mont des revenants" de l'écrivain espagnol Gustavo Adolfo Bécquer (1836-1870). Je souligne les passages concernant les sons et les bruits :

"Une heure passa, puis deux, puis trois. Minuit allait sonner quand Béatrice se retira dans son oratoire. Alonso ne revenait toujours pas; il aurait dû pourtant être de retour depuis longtemps. « Il a dû avoir peur!» s'écria la jeune fille en refermant son livre d'heures et en se dirigeant vers son lit: elle avait essayé en vain de dire quelques-unes des prières que l'Église consacre le jour des Morts à ceux qui ne sont plus.
Après avoir éteint sa lampe et tiré les courtines de soie, elle s'endormit; mais d'un sommeil léger, inquiet, nerveux.
Minuit sonna à l'horloge de la tour du Guet. Dans un demi-sommeil, Béatrice entendit les vibrations lentes, sourdes, infiniment tristes de la cloche, et elle entrouvrit les yeux.
Dans le bruit des cloches, elle avait cru entendre son nom; mais loin, très loin, et prononcé par une voix éteinte et plaintive. Le vent gémissait contre les vitres de la fenêtre.
« Ce doit être le vent », se dit Béatrice en portant la main à son cœur pour essayer d'en comprimer les battements.
Mais son cœur battait de plus en plus fort. Les portes de mélèze de l'oratoire tournèrent sur leurs gonds avec un grincement aigu, prolongé et strident. 

Puis, de proche en proche, toutes les portes qui conduisaient à sa chambre se mirent à grincer tour à tour. Les unes avec un bruit sourd et feutré, les autres avec une longue plainte exaspérante. Puis ce fut le silence. Un silence plein d'étranges rumeurs, le silence de minuit, fait du murmure monotone et assourdi d'une fontaine, d'aboiements lointains de chiens, de voix confuses, de paroles inintelligibles, d'échos de pas qui vont et viennent, de bruissements de robes qui trainent de soupirs étouffés, de respirations essoufflées que l'on entend à peine, de frissons involontaires qui annoncent des présences invisibles que l'on sent approcher dans l'obscurité.
Béatrice, tremblante, immobile, passa la tête entre les rideaux et tendit l'oreille. Elle entendait mille bruits divers; elle se passa la main sur le front, écouta à nouveau : plus rien, le silence.
Elle voyait — ses yeux brillaient d'un éclat phosphorescent comme il arrive dans les crises nerveuses — des masses qui se mouvaient en tous sens. Et lorsque, les yeux dilatés, elle essayait de les reconnaître, plus rien : l'obscurité, l'ombre impénétrable. « Bah! s'écria-t-elle en renversant sa belle tête sur l'oreiller de satin bleu, suis-je aussi peureuse que ces pauvres gens dont le cœur bat de terreur sous une armure rien que d'entendre une histoire de revenant ? »
Elle ferma les yeux et voulut dormir. Mais c'est en vain qu'elle essayait de recouvrer son sang-froid. Elle se redressa bientôt, plus pâle, plus inquiète, plus atterrée que jamais.
Il n'y avait plus de doute. Dans un bruissement, les tentures de brocart de sa chambre s'étaient écartées et des pas avançaient lentement sur le tapis; un bruit de pas sourd, presque imperceptible, mais régulier et accompagné d'un craquement de bois ou d'os. Ils se rapprochaient lentement, lentement, et le prie-Dieu, à la tête de son lit, bougea. Béatrice poussa un cri aigu et se pelotonna sous les couvertures en retenant son souffle.
Le vent fouettait les vitres du balcon, l'eau de la fontaine, au loin, retombait sans fin, en un bruit éternel et monotone, les aboiements des chiens se rapprochaient, amplifiés, dans les rafales de vent, et les cloches de Soria, les unes proches, les autres lointaines, sonnaient tristement pour les âmes des morts."

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