Je viens de terminer Guerroyant, le nouveau livre de Pierre Mari et je suis restée sous le charme.
Charme d’un beau récit d’amitié et de vie dont le titre est si bien choisi ! Guerroyant, nous mène sur le chemin de la difficulté de vivre, de tenir, de maintenir des exigences intellectuelles, artistiques, humaines, dans une époque du tout venant. Difficulté aussi de garder des espaces pour le rêve, la liberté de l’imaginaire, d’échapper à la « sale propagande du réel », de conserver l’espace nécessaire à ses « clameurs ».
Charme d’une écriture. Un texte écrit, au sens de texte qui nous livre une véritable écriture d’auteur : de la littérature, tout simplement, cela se fait si rare qu’il faut s’en délecter.
Fulgurances des images, densité, concentration expressivité et justesse du vocabulaire, expressions estudiantines savoureuses, cette longue adresse à l’ami disparu touche et enthousiasme par l’usage de la langue dans toutes ses couleurs et ses possibilités. Tout ce que j’aime ! Le choix malicieux des adverbes, la saveur sensuelle des verbes, les métaphores inédites explorées avec finesse : l’écriture fait chatoyer les pensées du narrateur et le portrait de l’ami que le livre dessine. Au fil de la lecture, à la fin d’un chapitre, la poésie inattendue du récit d’un instant ou d’un geste exacerbent la sensibilité tandis qu’ailleurs c’est l’intensité qui nous saisit. Et puis l’art de la phrase : construction, sonorité et rythme dont voici quelques brefs exemples: "L’entente venue tard aurait vite fait oublier le passif de froideur.", "C’était l’époque où il restait des gens capables de calligraphier leur détresse". Ou le plaisir de l’adjectif dans “l’utopie fripée"...
Je me suis laissée embarquée dans la quête du narrateur, sa révolte et ses méandres dont le récit déploie une belle honnêteté, celle d’un trajet qui croise et parfois s’épaule à celui de l’ami, ce personnage absent à “l’œil éperdu d’enfance” qui irrigue le texte de sa force. Le récit fait vivre cette amitié, cette compréhension profonde qui sait se nourrir des absences et des silences. Il s’agit de garder de la tenue en amitié comme dans tout le reste.
Et c’est aussi cela la réussite du livre, ne pas se contenter de dénoncer une époque, mais de montrer des personnages qui savent se maintenir tout de même dans cette zone indispensable que je pourrais nommer, l’affirmation de vie, nottament grâce à cet indomptable ami semblable à une sorte de demi-dieu égaré parmi les “producteurs et consommateurs d’existence” et autres “cuirassés du prosisme.”
Préserver l’amitié, en dehors du juste anathème contre le “crétinisme réglementeur”, “les bredouileurs de néant” et leurs “leçons vomitives”, donne une forme de grandeur salvatrice à ce texte. Guerroyant m’a offert le plaisir de partager les questionnements d’une intériorité subtile, exigeante, qui ne se contente pas de thèmes rebattus et de stéréotypes. La présence du narrateur et de son ami m’a accompagnée longtemps après avoir refermé le livre.
J’en garde l’espoir de pouvoir croire, encore, à la possibilité d’une humanité qui saurait préserver l’espace des pudeurs et des silences.
Guerroyant de Pierre Mari aux Editions Sans Escale