Une dimension surréaliste de la couleur
Monpapamamamanmesbobos.
Comment rendre la nuance des coloris à ces êtres monochromes ? Plus rien n’a d’intérêt ni de goût. Ce qui a pâli pour l’œil, est-ce la faute du regard ? Où retrouver l’apaisement dans l’affection immédiate, sans restriction, sans fatigue, bienfaisante pour eux comme pour moi. Qu’à nouveau la vaste langue de la Tendresse lèche les larmes sur les joues des pauvres mortels – le cœur à battants ouverts. » Michel Castanier
Michel Castanier nou a quitté fin 2024. Auteur à l’écriture intelligente et aiguisée, tout en étant sensible et imprévisible, il mérite que l'on s'y intéresse. Voici une recension de son utilisation de la couleur faite à partir des manuscrits qu’il m’avait donné à lire, c'est une manière de rendre homage à son formidable talent de styliste.
Un usage jouissif de la couleur
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Expression d'états émotionnels : "Flaque noire de mon cœur, liquide et stagnante comme une mare d’obsidienne. "
- Signe de temporalités (oxydation, pourrissement, dilution...) : « —Mais je vous ennuie… – Pas du tout ! s’écrie-t-on, et chacun examine avec satisfaction ce visage chiffonné qui peu à peu se dilue et s’estompe comme une touche de couleur rouge dans du white spirit. »
- Adjuvant d'atmosphères oniriques : « Ses petites bottines en caoutchouc jaune, comme des citrons écrasés sous ses pas dans la boue."
- Motifs narratifs : le rouge et le blanc pour des contes ancestraux, le gris pour la mélancolie quotidienne, le vert pomme pour une vitalité absurde, ou les irisations polychromes pour des scènes urbaines : "Une petite fille avec un chaperon jaune peint tout ce qui bouge – et tout ce qui bouge en est réduit à une couleur. [...] Qui est le petit Chaperon jaune ?"
- Éléments mouvants, perturbants, actifs : les couleurs glissent, dissolvent, corrodent ou empoisonnent, loin des descriptions de couleurs statiques et convenues, l'on rencontre des couleurs brisées... : - "Un mur mou et blanc, comme une toile de lait caillé où s’effacent les ombres."
- Personnages à part entière, les couleurs sont chargées de mémoire, de douleur ou de vitalité. : "Les sapins sont d’un vert de jade brisé, comme si la forêt pleurait des éclats de pierre précieuse."
Moyens stylistiques de la couleur
— des métaphores audacieuses : images sensorielles oniriques, symboliques ou émotionnelles
— des associations de couleurs à des textures, des matières
— des sensations étonnantes : le minéral, l’organique, des phénomènes naturels
— des textures absurdes
— des sensations décalées
— des fusions conceptuelles qui transforment la couleur en élément vivant, tactile ou paradoxal.
Les couleurs donnent vie à des portraits charnels et dérangeants
« Élégance lunaire »
« Pyjama blanc à pois rouges ; globes laiteux ; visage si pâle »
« Beauté hémorragique d’une grandiose ecchymose ; ombrée de roux ; libraire verdâtre »
« Ciré jaune ; visage blanc – blanc comme un os ; capeline rouge ; cellule violette »
« Fine moustache au charbon de bois sur la lèvre supérieure »
« Lèvres cyanurées »
« Son visage était d’un blanc de lait caillé, strié de veinules bleues comme une carte marine.»
« Son regard avait un vert d’olive noyée dans l’huile, trouble et luisant à la fois. »
- "Ses yeux, d’un marron de café torréfié, semblaient infuser une chaleur amère dans l’air, comme si chaque regard versait une liqueur épaisse, brûlante et granuleuse, prête à tacher l’âme de quiconque y plongeait."
- « Ses petites bottines en caoutchouc jaune, comme des citrons écrasés sous ses pas dans la boue."
-"Un front d’un blanc de craie effacée, griffonné par le temps sur l’os du poignet."
- "Un front d’un gris de cendre mouillée, où les rides coulent comme des ruisseaux de suie diluée."
- "Ses cheveux d’un roux de rouille marine, corrodés par le sel des embruns imaginaires."
- "Une cicatrice d’un blanc de craie effacée, griffonnée par le temps sur l’os du poignet."
- "Son regard d’un noir de réglisse fondue, sucré-amère sur le bord des paupières."
- " Elle disait la nervosité de la soie, en frottant son écharpe entre ses doigts délicats, et ses doigts blancs dans la blancheur de l’écharpe la disait tout entière, délicate, sensible – sensitive."
- "La bouche laquée de bleu, comme si elle mâchait des fragments d’azur brisé."
Plus rarement, il se sert de la couleur pour :
- peindre des corps et des espaces intimes avec une sensualité tactile
- évoquer la proximité des corps et le désir
- "Ombre d’un violet de prune mûre, suintant sur la courbe de l’épaule."
- "L’ombre d’un violet de prune mûre, suintant sur la courbe de l’épaule comme un fruit écrasé, laissait sur la peau une trace juteuse, comme si le corps lui-même pleurait une liqueur sombre et sucrée."
-"L’intimité du cercueil est la plus noire des encres, une écriture indélébile de la mort."
Création de "lieux de couleur"
- « Il vous faut remonter d’abord des profondeurs de la terre par de multiples escaliers, vous passez une porte ouverte et vous voici devant la tour de la bibliothèque : des irisations de lumières – un délicat chromatisme – se reflètent sur l’encre mobile de vos yeux. Un ciel d’aquarelle vous accueille ! Des voiles de couleurs tombent sans fin sur le dôme polychrome de la tour d’angle. De vastes tentures de vert et de bleu coulissent sur des glissières. Des rayonnements orange veloutent l’asile.
L’arc boréal émet ses ultimes lueurs."
- "Les murs de la vieille bibliothèque, d’un marron de cuir racorni, semblaient exsuder une odeur de tabac froid, comme si les pages des livres, tannées par le temps, avaient fondu en une peau brune et craquelée, prête à se déchirer sous le poids des mots."
- "Une cellule violette, palpitante comme une contusion emprisonnée dans la pierre, vibrait dans l’obscurité de la tour, comme si les murs eux-mêmes saignaient une couleur captive, prête à éclater."
-"La forêt, d’un vert de jade brisé, comme si elle pleurait des éclats de pierre précieuse."
Proximité avec l'usage de la couleur chez les surréalistes, un surréel qui s’insère dans la fiction
Le surréalisme, mouvement littéraire et artistique initié par André Breton en 1924, vise à libérer l’inconscient, à juxtaposer des éléments irrationnels et à créer des images oniriques qui défient la logique réaliste. Les couleurs y sont souvent employées non comme de simples éléments descriptifs, mais comme des outils pour générer des associations surprenantes, sensorielles ou absurdes, mêlant le visuel à d’autres sens (tactile, gustatif, émotionnel) ou à des paradoxes.
La plus célèbre des formules de cet usage surréaliste de la couleur reste celle de Paul Éluard: "La terre est bleue comme une orange."
L'analogie ne se trouve pas dans le processus d'écriture, les modes opératoires, rien de semblable chez lui à l’écriture automatique prônée par les surréalistes, mais dans une expressivité de la couleur, un surgissement de l'imaginaire, de l'inconscient peut-être, mais ancré dans la réalité matérielle et humaine, une liberté qui se déploie toujours dans une scène qui reste réaliste. Il a un œil pétillant qui réenchante le quotidien sans entrer dans le fantastique.
- "Seule veillait une lampe avec un globe en verre vert pomme, champignon vénéneux éclairant le bureau ministre et deux nains de jardin silencieux."
- "Ses ongles d’un rose de chair écorchée, griffant l’air comme pour y creuser une couleur neuve."
- "La lumière du matin, un jaune d’œuf durci, craquelant sur le mur comme une coquille oubliée."
- "Le vide de la pièce, d’un bleu de veine ouverte, palpitant sous la peau du silence."
- "Le petit Chaperon bleu fit quelques brasses aller-retour dans une des cuves de couleur. La nappe molle et luisante du bleu s’apaisa quand elle en sortit."
- "Le thé bu, d’un ambré de larmes séchées, laissant un dépôt orangé au fond de la tasse."
- "Flaque noire de mon cœur, liquide et stagnante comme une mare d’obsidienne. "
- "La pluie d’un gris de plume arrachée, collant aux vitres comme des duvets mouillés de corbeau."
- "Une tache rouge, comme un coquelicot éventré, s’étale sur le pavé de la ruelle."
- "Gants jaune poussin, palpitants comme des plumes de soleil arrachées."
- "La lumière du matin, un jaune d’œuf durci, craquelant sur le mur comme une coquille oubliée. "
- "Une petite boîte jaune avec un chameau sur fond de sables, comme un désert plié dans une poche."
- "Une capeline rouge, éclaboussée comme un cri figé sur la toile d’un peintre fou. "
- "Son regard d’un noir de réglisse fondue, sucré-amère sur le bord des paupières."
- "...loup noir, une ombre dévorante comme du goudron vivant."
- "Ils ont des visages d’un noir de suie, comme des masques carbonisés dans un paradis aquatique."
- "Le vide de la pièce, d’un noir de suie liquide, coulait sur les murs comme une peinture renversée."
- "Un gris de cendre humide qui sent encore la braise, aligné dans mes carnets comme une mémoire calcinée."
- "Une fumée grise qui s’évanouissait dans les airs, comme un spectre de cendre évaporé."
La Clé des champs !"

