La question du narrateur

Narrateur

La question du narrateur

Raconter, oralement, que ce soit lors d’un échange ou une conférence, c’est être, de façon évidente et naturelle, le « narrateur » de son histoire, celui qui en expose le déroulement, les péripéties, les circonstances.

Lorsque l’on passe à l’écrit, l’identité du narrateur - celui ou ceux qui fournissent au lecteur les informations, les éléments de l’histoire - perd cette évidence et les possibilités se multiplient.

Le narrateur, même s’il exprime parfois les opinions de l’auteur, ne se confond pas avec l’auteur, sauf dans les récits de vie. Le narrateur est quelqu’un qui « connaît » les lieux qu’il décrit tandis que l’auteur, lui, ne fait que les imaginer.

Auteur / Narrateur / Lecteur forment une sorte de triade au sein de laquelle opèrent des relations multiples : c’est un moteur essentiel du jeu de la fiction. Le narrateur y assume une fonction d’intermédiaire entre l’auteur et le lecteur.

Les types de narrateurs

Ce qui les distingue :

  • Présentés comme un être réel, personnage de l’histoire, conteur… /  Une voix non identifiée, un "point de tangence entre le monde raconté et celui où on le raconte" selon l'expression évocatrice de Michel Butor.
  • S’ils font partie de l’histoire. /  Ils n’en font pas partie. 

-   Une autre distinction concerne les informations dont dispose le narrateur : que sait-il de ce qu’il raconte ? 

Tout, s’il est omniscient  /  Uniquement son point de vue et ce qu’il sait, s’il témoigne. 

Avec toutes les combinaisons intermédiaires possibles entre ces deux extrémités. 

-   Et, problématique plus contemporaine, que transmet-il de ce qu’il sait au lecteur ? 

Tout, pour rendre l’histoire limpide ? 

Peu, car il laisse des zones d’ombres par choix ou parce qu’il ne sait pas tout lui-même ? 

-    Est-il fiable ? Le narrateur peut jouer avec le lecteur : s’adresser à lui, le tromper, retenir des informations, lui faire part de ses questionnements, évoquer les questions d’écriture… 

 -    Le narrateur peut être unique ou multiple, on parle alors de dialogisme, de polyphonie. Y at-il un seul point de vue privilégié ou plusieurs ? 

La réponse à chacune de ces questions va modifier la forme du texte. Ainsi, même si un roman, une nouvelle, un récit, restent un ensemble de péripéties, de personnages, de lieux, d’objets, ils se caractérisent aussi par une façon de raconter, par la mise en place de ce « quelqu’un » ou de ces instances qui racontent, ces « émetteurs » physiques ou abstraits du récit, ces « narrateurs » dont le type va modifier la matière même du texte.

Cette mise en place du ou des narrateurs, ces instances fictives, est donc une création dans la création, elle fait partie de l’invention romanesque, elle en est même l’un des éléments majeurs. Elle est la voie d’accès à ce qui se passe, elle est un regard, une façon de percevoir et de décrire. L’histoire passe par son narrateur comme la forme et la place du trou de la serrure qu’il utilise conditionnent ce que voit l’œil dans la pièce voisine. 

Ainsi, toute la perception, ce que l’on appelle la réception par le lecteur, va dépendre de la manière dont ce narrateur opère, par exemple de la façon dont il va donner les informations : neutre, subjective, objective, impliquée, émue ou distanciée, incarnée, ironique, sociale, lyrique, informée, interrogative et même, parfois, erronée… 

Il faut noter que ce thème du narrateur et de ses effets sur l’écriture et sur le lecteur reste l’objet de discussions théoriques complexes.

La question de savoir si tout cela fonctionne de la même façon lorsqu’il s’agit d’une fiction ou d’un récit factuel reste également en suspend.

Le narrateur peut être à une distance plus ou moins grande de l’auteur implicite. Ainsi quand le narrateur organise la conduite du récit en modifiant l’ordre des événements par rapport à l’ordre chronologique, les intentions de l’auteur affleurent nettement.

Y a-t-il toujours un narrateur ? 

Cela dépend de ce que l’on met sous ce terme. La réponse est positive si l’on pense à un intermédiaire, un distributeur de mots et d’informations. Négative, si l’on veut faire de lui l’équivalent d’un personnage, d’un conteur, car il ne l’est pas toujours, il peut être un simple canal par lequel passe le texte, un œil, un point focal, une posture. Il peut fonctionner comme un être sensible ou être l’équivalent d’une caméra de surveillance, se présenter comme un témoin ou s’imposer en moralisateur, se vouloir une instance transparente ou une voix ironique, montrer ou dénoncer…

De nombreuses questions essentielles de la fiction sont ici impliquées : ce que l’on appelle le point de vue, la manière de focaliser le récit, mais aussi de le restituer. Le choix du narrateur, de son type, de son fonctionnement conditionne la façon d’écrire, il conditionne aussi grandement le style.

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