La peur
« L’émotion la plus forte et la plus ancienne de l’humanité c’est la peur, et la peur la plus ancienne et la plus forte est celle de l’inconnu. » H. P. Lovecraft
Sous l’évidence du mot et de l’émotion qui lui est associée, qu’est-ce finalement, la peur ?
C’est d’abord quelque chose qui se manifeste ! On en perçoit les effets au niveau physiologique, la peur fait accélérer le rythme cardiaque, elle fait transpirer. Elle induit des comportements instinctifs qui oscillent entre tétanisation, fuite et combat.
« Il était douteux, inquiet : un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. Le mélancolique animal entend un léger bruit : ce lui fut un signal pour s’enfuir devers sa tanière. » La Fontaine dans Le Lièvre et les Grenouilles en montre l’essentiel : la peur est une émotion, mais aussi une réponse physiologique, une réaction à une situation perçue comme dangereuse, un mécanisme de survie.
Elle nous fait écarquiller les yeux pour augmenter notre acuité et montrer aux autres notre état émotionnel. Car, si la peur se ressent, se vit, elle s’exprime, l’évolution nous a d’ailleurs dotés de capacités très fines (expressions du visage, intonations de la voix, postures, gestes) pour faire comprendre, mais aussi pour identifier les émotions chez nos semblables.
Ce qui est spécifique de la peur humaine, c’est la possibilité de la verbaliser. Un imaginaire ancestral de la peur est parvenu jusqu’à nous. Tout un catalogue d’images, de peurs réelles aux peurs illusoires, ont été mises en scène sous diverses formes narratives. Contes et récits se sont mis en place pour apprivoiser les manifestations surnaturelles, spirituelles ou imaginaires - figures du diable, êtres fantastiques, monstres et chimères, revenants et spectres - ainsi que certaines « manifestations naturelles » telles que les catastrophes causées par des phénomènes météorologiques et cosmiques, les épidémies et autres calamités qui accablent depuis toujours l’humanité. On en trouve des manifestations collectives dans affects tels que l’angoisse « fin de siècle » ou « l’éco anxiété ». Leur point commun reste l’irruption ou l’anticipation d’une rupture de l’ordre habituel de la vie et des choses. Stephan King dans « The Anatomy of horror » liste les peurs les plus communes de notre sensibilité occidentale : la peur du noir, la peur des choses gluantes, la peur de la difformité, la peur de la mort, la peur des rats, la peur des serpents, la peur des espaces clos, la peur des insectes, la peur des autres, la peur pour autrui.
Ainsi la peur se situe à la rencontre du vécu individuel, subjectif, intime et d’un universel de la condition humaine. Il faut garder à l’esprit que c’est un processus nécessaire à la survie, une mobilisation du corps et de l’esprit qui permet de faire face au danger, une nécessité qui a perdu une partie de son utilité, un état de vie intense dont il reste quelque chose dans le goût pour les récits et les films qui font peur, nous y reviendrons.
Cependant, quand elle devient excessive dans son déclenchement, son intensité ou sa durée, la peur peut basculer vers l’anxiété, la phobie, l’angoisse. Peurs sans objets, peurs disproportionnées, permanentes, de normales et fonctionnelles, elles deviennent alors pathologiques et empêchent de vivre. L’imagerie cérébrale montre les circuits de la peur notamment l’amygdale, les régions du tronc cérébral et l’hypothalamus. Ainsi les neurosciences permettent de « voir » ces réseaux et leurs dysfonctionnements sur lesquels l’on peut agir notamment par la réactivation des sensations traumatiques. L’écriture, à sa façon, peut elle aussi agir sur la peur, avec les mots, les rythmes, les images, « éteindre ou rallumer » la peur par des stimulations auditives, visuelles ou tactiles.
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