Imaginer l’Après.

 -     Et il y a l’Après. Le moment de clôture, le noir sous la membrane lourde, l’abandon à l’obscurité qui tout au tour, écrase et se vide, aspirée. Et le néant approche, il est là, patient, tel un un dernier témoin, un vertige et puis, même lui s’évapore, quelque chose diffuse, une perception lumineuse, discrète, familière : le mystère d’un rafraichissement sans matière et le silence et peu à peu tout change, tout s’effare, comme des yeux s’ouvrant sur un nouvel espace, la voute d’un tunnel de brume et de clarté le flou d’un moment in-certain. D’une immobilité qui semble avancer. Plus de poids, aucun tâtonnement,sensation de chemin roulant, d’une paume géante nous offrant son appui dans une ouate moelleuse comme une pente douce.

Peu à peu, le tunnel sans paroi s’ouvre en transparences ; une serre sereine, enveloppante, emporte doucement vers la sensation lumineuse, là-bas, tout au fond du chemin irisé d’ombre et de parfums soyeux. Le mouvement régulier caresse et rassure. I

Le plaisir de l’appel, de se laisser guider, la douceur de l’accord, sont intenses, d’une absolue légèreté et l’interrogation se fond, s’enfonce vers le calme. Dans une étendue sans écho.

Le corps cé-leste. Et le sourire s’é-vapore, les lèvres encore sèches du moment du passage.

Plus de distance, une flottaison sur un fil où le temps rencontrerait l’espace : il l’a rejoint et déjà, à genou, le caresse. 

Bombardé d’infinies gouttelettes, d’infimes béatitudes, myrielles d’éclaboussures comme autant de giclées de cet accord parfait, le visage se dresse pour se placer, mieux encore, dans le faisceau de joies. La plénitude éblouit, les yeux clignent et le point se précise, se dilate en une porte en fils de lumière, une trouée de lignes claires, puissante et pâle.

C’est un mystère sans questionnement, car sous l’approche de La Réponse, impérieuse, paisible, les mots s’émoussent, s’éloignent, dépassés par mille sensations. Mille pensées s’effacent comme gommée par cette traversée, et puis, ne reste perceptibles qu’une délicatesse, le souffle odorant d’un pistil d’amandier et la source apaisante et sonore de l’immense clarté.

Le dernier mot surgit, juste avant l’ineffable.

In-finité.

 

-    Et il y a le mouvement. l’Irrésistible sensation d’une montée, immobile, implacable et tranquille avec la verticale comme lieu d’arrivée, comme limite et point d’appui. Soulevé, sans effort, un pur redressement, une irruption lente. 

Ascension jusqu’à la verti-cale : la vérité de se caler sur ses deux pieds, la position d’humanité, l’ajustement définitif de soi à soi.

Et d’autres se redressent, innombrables poussées unies par ce même mouvement, la même aspiration. La multitude se dessinent, peu à peu, tels des grains se séparant sur le pied d’un enfant qui joue avec le sable. 

Dans la foule égrainée des corps dressés, l’on se prend à chercher, un visage, un regard familier, on tend les bras, avance, rassuré : le nombre incalculable ne fera pas obstacle, les grains, comme pris dans un chemin de pluie, s’organisent, s’aperçoivent, s’interpellent. Les rires bouillonnent, à peine retenus par l’impensable. L’incroyable s’incarne et crie d’étonnement, la gorge pleine, secouée par la force inouïe de la première, de l’inconcevable Certitude. 

Re - co - naissance. Une vague, remous d’amours et émulsion d’espoir, de foi récompensée, se faufilent, se rejoignent, en grappes. Les mains s’attrapent. Les bras enlacent le vide qui restitue pourtant la saveur de l’être perdu. Larmes sans sel et sans tristesse. Souffles d’éberlués. Se précipitent. Le peaux se frôlent, se sentent, explorent la caresse sans le risque, sans la fragilité, la présence sans la perte. Et les corps se font chairs, sans la matière. 

Réincarnés d’une é - rection jouissive, de la mort enfin déjouée.

Résur - rection.

 

-    Et il y a l’après, quelques secondes d’agitation purement cérébrale : restes d’images, flashs, derniers influx, dernière accroche et puis les mots se taisent, tout se tait dans la conscience évaporée.

Dans l’in-conscience éteinte, c’est la nuit, il fait froid. Froid du rien. Moins encore. Sans soi et sans témoin, sans regard, sans mémoire dans un pur être-là qui déjà se défait. 

Processus. Lent ? Rapide ? Inerte : ne pas même sentir l’extérieur qui se faufile en soi au plus profond, au plus intime. 

Il ne s’agit pas d’un abandon :  c’est la distillation définitive des questions. 

Dis- solution jusqu’au plus fin de la matière. La solubilité dans la pureté de l’état de « Chose ». Liquéf- action.

L’émiettement du corps en particules élémentaires pourrait faire croire à un dernier élan de vie dans le ballet des bactéries puis tout est immobile, pour une seconde ou pour un millénaire. 

Une infinie vacance en une infinité d’atomes dé-jointés. Dispersés. Solitaires. 

Disponibles. 

Puis, quelques particules, d’un hasard, d’un frottement feront une rencontre. Elles se mêleront à d’autres. Par coopération passive et démultipliée, elles retrouveront une place dans le canevas des substances, un abri, dans le dessin d’une structure.

Et puis, peut-être, une particule  -  deux ? -  par une déclinaison minime, un clinamen hasardeux et secret, improbable - mais possible - se faufileront dans de nouvelles affinités, s’agrégeront, s’amarreront, bien décidées à s’accrocher de toute la force de leur volonté sur-vivante. 

Des réminiscences s’agiteront à nouveau dans le grand bouillon du vivant !

Le souvenir dissout de l’aventure précédente, la mienne, s’inscrira dans les cellules d’un autre Être.

Re- cyclé, ré-habilité à vivre, mon témoignage codé s’implantera au cœur d’une possibilité nouvelle.

Récupéré, réinventé, il s’agira encore de sourdre. 

De jaillir.

Pas à nouveau, mais à jamais.

apres

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