Couleurs chez Hemingway

Couleurs chez Hemingway

Couleurs chez Heminway : l’option minimaliste 


« Les couleurs de Cézanne visent une réalité pure, dégagée de toute narrativité, de toute mimétique accidentelle. Voilà ce qui fait d’elles l’allié essentiel d’un poète qui guette les épiphanies de la réalité à travers le miroir des mots. » Rilke

Hemingway, fasciné par Cézanne, a affirmé avoir réussi à écrire comme Cézanne peint, affirmation certes audacieuse. L’on pourrait penser qu’il s’agit d’un exemple de la forfanterie dont l’écrivain était coutumier. Toutefois, cette déclaration n’est peut-être pas totalement injustifiée et il est tentant d’essayer de percer le secret d’Hemingway comme Hemingway dit avoir percé celui de Cézanne.
Pour Hemingway, c’est en disant « moins », en se plaçant « en deçà du sens » et en ne « transmettant aucune information » que la parole de l’écrivain trouve sa dimension littéraire. Les mots doivent sembler dictés par le réel lui-même – ou plutôt par une vision codifiée, stéréotypée du réel – et non par une quelconque intention de l’écrivain.
Pour cela il utilise la répétition d’expression d’association d’un type d’objet et d’une couleur spécifique, citation la répétition de « green plain », « green valley », « the white road », « the brown montains » et de « dark mountains » présents à des courts intervalles dans le texte. Hemingway emploie « dark » comme un adjectif de couleur, car le mot fait référence à une impression visuelle.
Par la récurrence d’associations entre un type d’objet et une couleur spécifique, Hemingway crée une palette stéréotypée. De nombreux critiques ont d’ailleurs établi un parallèle entre la répétition des mots chez Hemingway et celle des touches de couleur chez Cézanne.
Ces répétitions semblent vider les mentions de couleurs de leur charge signifiante et de leur charge symbolique pour insister sur leur simple aspect sensoriel : la couleur s’éloigne du pôle de l’expression pour rejoindre celui de l’expressivité. Elle est toujours employée de façon réaliste et ne renvoie pas à un sens caché tel qu’un sentiment, une position sociale ou une idéologie. La couleur n’est mentionnée par l’auteur qu’à propos d’objets auxquels elle s’associe de façon évidente, dans des cas où elle est connue d’avance du lecteur par acquis culturel.
« In the bed of the river there were pebbles and boulders, dry and white in the sun, and the water was clear and swiftly moving and blue in the channels. »
« Dans le lit de la rivière, il y avait des cailloux et des rochers, secs et blancs au soleil, et l'eau était claire, rapide et bleue dans les canaux. »

Posé ainsi en post position séparé, le lecteur ressent le bleu de l’eau non pas tant comme une information qui lui a été communiquée au niveau sémantique que comme une partie de son expérience personnelle qui a été activée par le texte. L’adjectif « bleu » sans dimension symbolique ni information supplémentaire permettrait néanmoins de faire référence à l’expérience de la présence de l’eau. Le lien passe par la participation du lecteur et la convocation de son expérience. La couleur demeure mimétique, c’est à dire cherchant à « ressembler » à la réalité , mais d’une façon convenue, afin que le lecteur puisse évoquer un pan de son expérience personnelle et conférer à un adjectif presque vide de sens le pouvoir d’évocation du visible.
La confrontation du lecteur avec la dimension sensorielle de la couleur est programmée par la structure du texte dans sa globalité. Une telle stratégie permet de donner par le langage l’impression d’une communication pré-verbale car le lecteur, obligé de se représenter l’objet dans sa matérialité et fait appel à son expérience. L’adjectif de couleur s’éloigne de sa nature de signe pour devenir presque un stimulus. Cette approche insiste sur la perception au détriment de la signification, s’approche de l’utopie d’un langage qui renverrait directement à l’objet.

L’objet ainsi décrit est-il ressenti de façon plus immédiate que ne le permet une description plus fouillée? Nous sommes là dans un choix esthétique et artistique.

 

Voici un texte qui reprend  mon texte intitulé Patio, une deuxième version du texte avec une écriture moins « littéraire », une écriture qui n’est plus la mienne, une tentative de se rapprocher du minimalisme, une autre façon d’aborder la couleur au niveau stylistique.

Blanc, on pourrait dire blanc. Non, trop tendre pour être vraiment blanc, crème plutôt.  Et grâce à lui, rien n’est sombre dans ce patio. Les murs montent sans vous enfermer tandis que la lumière plonge jusqu’au sol qui forment des motifs gris-bleu un peu compliqués. Le blanc, le vrai, est là aussi en dessous de la balustrade sur trois des côtés. Il semble froid. La vielle rambarde en fer forgé, bleue, grise, elle aussi, un peu rouillée disparait par endroit sous le jaune orangé des clématites.
En face, un grand mur granuleux monte jusqu’au bout de ciel bleu que l’on aperçoit tout en haut, un ciel du Sud qui fait honneur à sa réputation, lumineux, pur, à peine coloré. Il semble déjà vibrer de chaleur alors que la journée commence à peine.
Trois trompe-l’œil dans ce mur aveugle. Un miroir sombre près du sol, en forme de fenêtre, s’ouvre sur la réplique du jardin tandis que les deux lucarnes en ogives reflètent le bleu limpide du ciel, plus coupant, plus lumineux encore que le vrai. 
De chaque côté, les murs se découpent en multiples fenêtres hautes, étroites, avec leurs rideaux écrus ; leur cadre d’aluminium brille. Leur couleur taupe va bien avec les persiennes et leur infinité de lamelles, couleur vieux bois, doré, irrégulier.
Et puis, plus bas, les camaïeux de vert des jeunes plantes qui pointent chacune leur couleur et leurs formes. Les larges aplats vert sombre, lustré, des arums s’étalent au bout de leur tige raide, et leur fleur, corolles en dégradé du vert au jaune pale jusqu’au blanc presque transparent, forment le cœur du patio et donnent le ton de la palette. 
Quelques touches violettes, près des massifs verts dentelés des grimpantes et des feuilles épaisses et charnues de l’oranger, scintillent çà et là. Le mauve rosé du bougainvillier révèle quelque chose de bleu dans la couleur du mur. Les campanules alignées, un peu mauves, contrastent avec les verts tendres du feuillage des cœurs-de-Marie et les fleurs rose bonbon, couleur de savonnettes.
Quelques verts panachés, vert sombre égayé de blanc, s’étalent sous le bleu vert des feuilles de l’olivier, une repousse qui est montée comme un palmier sur un tronc gris et strié. 
Les fleurs du jasmin, douceurs jaunes et pâles, confortent la douceur de l’ensemble. 
Au fond, on aperçoit un feuillage effilé rouge zébré de vert et de violet. Les taches vives des fleurs du citronnier tourbillonnent d’abeilles, seul mouvement dans cet espace clos et immobile sous son ciel bleu. 
Et puis, posés, par-ci par-là, autour du gris léger des tables de fer forgé, des coussins jaunes semblent lier l’ensemble. Toutes ces couleurs, ces feuillages, ces fleurs, ne sont-ils pas là, finalement, pour nous, pour nous inviter à  nous assoir parmi elles ? 
 
 
  
Si vous souhaitez être tenu informé des parutions de ce site.