Écrire un dialogue
Une fausse facilité ?
Un dialogue offre des possibilités que nous allons explorer comme autant d’éléments sur lesquels vous pourrez travailler pour améliorer votre texte. Même si le dialogue en style direct imite la conversation réelle, il est le lieu d’un travail littéraire sur la forme, car il la crée et l’adapte à de nombreux objectifs spécifiques à la fiction.
L’un des critères de la réussite d’un texte possible de la qualité de la réception du texte est sa lisibilité. Cette rencontre entre le projet de l’auteur et ce qui a été perçu dans le texte, dépend souvent de la cohérence de son style, cohérence qui n’empêche pas les ruptures et les surprises.
Dans le cas du dialogue, cette cohérence dépend de la capacité à intégrer tous les éléments du dialogue dans une même stratégie, vers un même but.
Ce ne sera pas notre sujet aujourd’hui, mais il ne faut pas oublier que la lisibilité n’est pas la seule stratégie possible, loin de là !
Rapidité et impression d’immédiateté du dialogue
Le dialogue allège le rythme du récit, en voici les leviers.
1. Incises
Ce sont des propositions indépendantes insérées dans une phrase, entre virgules ou tirets ou parenthèses, et qui forment un sens partiel différent du sens principal.
Dans une phrase (hors dialogue), on peut les comparer à des fenêtres qui s’ouvrent.
On appelle également incises, dans un dialogue, les propositions ajoutées ou rejetées à la fin, pour indiquer qui parle (spécifier l’interlocuteur), comment (ton, évolution de celui-ci, intensité…) et parfois des renseignements sur le contexte. Elles structurent le dialogue et matérialisent son style. Elles allègent en évitant les propositions relatives du discours indirect : Il a dit que…
Un aspect important de l’incise de dialogue repose sur le choix des verbes neutres (dire, ajouter…) ou chargés de préciser comment la parole est dite : répliquer, ajouter, crier, murmure, souffler, beugler… Certains auteurs en utilisent toute une panoplie. Le risque est de donner l’impression d’une expressivité surajoutée.
2. Didascalies
En plus de la désignation de celui qui parle et de sa manière de le faire, on peut ajouter aux incises des sortes de didascalies (informations données dans une pièce de théâtre par l’auteur à l’acteur et au metteur en scène, mais également au lecteur).
— Je vais me coucher, dit-il en refermant lentement la fenêtre, sans même la regarder.
Incises et didascalies doivent être bien choisies et bien pesées pour ne pas alourdir ou sembler maladroites ou artificielles : elles peuvent donner l’impression de voix off ou de scène vécue… le dosage qui peut aller de l’absence totale à l’utilisation développée et récurrente est important !
3. Typographie et ponctuation
Cette question peut sembler scolaire et secondaire, mais on ne peut l’éviter, car elle conditionne la lecture et la compréhension du dialogue. Elle se pose aussi au moment de l’impression et change l’aspect visuel du texte et donc sa perception.
– Le guillemet français « » (pas de guillemets à l’anglaise) ouvre chaque dialogue, le séparant du reste du texte, puis il est remplacé par un tiret à chaque réplique c’est-à-dire à chaque changement d’interlocuteur. Un nouveau guillemet marque la fin du dialogue.
Si les incises sont courtes et glissées dans la réplique, elles s’insèrent à l’intérieur des guillemets, si elles sont longues et séparées, il faut fermer les guillemets avant l’incise et les réouvrir ensuite.
L’édition actuelle tend à se passer des guillemets : ne restent que les tirets. Il s’agit - non pas des tirets courts des mots composés - mais des tirets cadratin (tiret long). Vous devez chercher les touches correspondantes selon le système d’exploitation de votre ordinateur.
Pas de majuscule au début des incises, même après une réplique qui se termine par un point, celui-ci est remplacé par une virgule.
S’il y a peu de paroles rapportées (pas de bloc de dialogues, mais une réplique isolée), l’on met des guillemets fermés. « Je reviendrai demain », dit-il.
Lorsque le dialogue en discours direct est introduit dans un paragraphe non dialogué, l’on met deux points qui marquent la parole rapportée qui se glisse dans un paragraphe. Exemple :
Elle répéta qu’il devait partir, qu’elle en avait marre et termina par : « Tu as compris maintenant ?
— Oui, j’ai compris, ça va, arrête. »
Si la phrase rapportée se termine par un point d’exclamation ou d’interrogation, il est conservé, mais l’incise n’est pas introduite par une virgule (et toujours sans majuscule).
Parmi les divers usages que l’on rencontre du tiret, je vous propose :
– Tiret classique court pour les mots composés, les listes et les incises à l’intérieur des phrases (on trouve aussi parfois les demi-cadratins ou cadratins dans ce cas).
— Tiret cadratin pour les dialogues. Je n’utilise pas le demi-cadratin.
Espaces : là aussi plusieurs options, mais le plus souvent, on laisse un espace avant et après tirets et cadratins.
4. Esthétique de la page
Passage à la ligne ou pas, bloc de dialogue ou pas, ces choix changent l’aspect de la page.
Le mélange bloc dialogue + paragraphe classique avec paroles rapportées incluses, permet d’intégrer le dialogue dans le texte, le rend moins solennel, moins tendu, coupe l’aspect de joute oratoire et de ricochet de répliques. On s’éloigne visuellement du théâtre. Ce sera l’objet d’une autre expérimentation.
Quel que soit le choix de l’auteur : respect strict des règles ou prise de liberté, comme pour la ponctuation, l’usage maîtrisé de ces marqueurs va contribuer à caractériser son style.
Spécificités de l’écriture du dialogue
Nous évoquerons aujourd’hui la forme la plus usitée du dialogue : celle qui cherche à se rapprocher de l’oral.
Il semble suffire d’imiter les paroles, de faire une sorte de sténographie d’une conversation imaginaire, une transcription exacte. Le dialogue s’inscrit alors dans une quête de réalisme pour obtenir l’effet de parole vive, authentique comme si le lecteur était tout proche et entend la conversation directement dans son oreille ! Le personnage est là, sans intermédiaires, avec ses mots et ses phrases, il semble parler naturellement. La dimension de fiction, de récit, s’efface.
On retrouve là l’idée du plaisir de la conversation depuis le XVIIe et de l’importance des échanges ordinaires. L’effet de vie et de présence immédiate est un élément majeur de la fiction : le dialogue fait partie des effets de réel romanesque. Il y a aussi dans cette envie de faire vrai le fait que le roman reste hanté par la puissance du théâtre.
En réalité, le dialogue n’est pas une transcription exacte du réel : c’est un travail de reconstitution.
— Il doit supprimer (ou en tout cas maitriser) les bafouillages, les euh, les repentirs, les ratés, les petits bruits de gorges…
Cependant, les lapsus, les balbutiements peuvent être utilisés, car ils sont lourds de sens.
– Des tournures qui « font oral » sont parfois ajoutées : phrases tronquées, français plus ou moins simplifié selon le milieu social des personnages, leur âge…
Choix de l’auteur : imiter l’oralité ou pas, par exemple en mettant ou pas les « ne » de la négation.
— On peut introduire des éléments de pensée comme si le dialogue surgissait de façon spontanée
Je devrais y aller… J’ai pensé que… Quand je vois… Tu sais je….
– Cependant, à trop vouloir se faire « oral » le dialogue court le risque de la banalité : il ne faut pas avoir peur de répliques « intelligentes » ou un peu développées, il faut s’assurer qu’elles collent au personnage et semblent émaner de lui.
— À l’inverse, des didascalies avec des mots bien choisis peuvent rendre intéressantes des répliques anodines. — Je vais me coucher, dit-il en refermant lentement la fenêtre, sans même la regarder.
Il est intéressant de distinguer et donc écrire différemment :
— le dialogue qui cherche à faire entrer le lecteur dans l’intimité d’un échange.
— celui qui reste sur le plan de la conversation sociale, plus convenue qui explore les non-dits.
L’écriture dépend du « jeu de rôles » qui opère : social, familial, amoureux…
Présence ou pas du contexte : contenu des échanges et didascalies.
En plus des incises, plus ou moins longues, l’on peut ajouter du contexte avant le dialogue ou en conclusion et même pendant ( en coupant le dialogue par un court paragraphe séparé). Si l’on a choisi de mettre des guillemets, ils doivent être clos puis réouverts.
– 1 Le contexte au sens d’éléments de la situation dans laquelle le dialogue s’inscrit.
Le dialogue ne doit pas apparaitre comme un prétexte pour donner des explications même s’il doit, en fait, assumer ce rôle. Le dialogue permet de faire circuler des informations, mais de façon naturelle. Il faut donc se projeter dans un dialogue réel, qui part des personnages et non du désir d’expliquer et chercher une forme spécifique pour les répliques, ce sera l’objet d’un paragraphe plus bas.
— 2 Le contexte du dialogue lui-même en tant que scène.
Dans un texte littéraire, il n’y aura pas, comme au théâtre, d’acteurs, de décor, de mise en scène pour compléter le dialogue. Les mots doivent les remplacer. Il est intéressant de rappeler que, même hors dialogue, l’écriture doit remplacer par les mots tous les autres moyens habituels de communication.
Il faut donc choisir quelle place laisser à ce qui a lieu hors paroles échangées notamment :
Intégrer ce qui se passe autour : mouvements, résonance des bruits, éléments extérieurs, il s’agit de créer une atmosphère autour de l’échange de paroles.
Ajouter une dimension visuelle à la dimension sonore : influence du lieu, par exemple de la lumière… pour donner au lecteur la possibilité d’imaginer la scène.
Donner des indications sur le déroulement du temps (si on le souhaite) notamment par les incises : d’abord, puis, à la fin… lentement. soudain… pause : silence.
Ajouter des éléments de la communication non verbale : expression des visages, mimiques, attitudes et mouvements des corps, intonations, inflexions de la voix, particularité de l’expression vocale…
La conversation, ce qui est dit, peut être insignifiante, mais des détails, regards, gestes peuvent porter une signification essentielle.
Cette multiplicité de tâches peut être un piège. Comme l’auteur de théâtre ne doit pas remplacer l’imagination du metteur en scène et doit se contenter d’une didascalie, celui qui écrit doit laisser place à la mise en scène imaginaire du lecteur, l’auteur doit faire des choix en fonction de sa vision du dialogue : l’on retrouve la dimension essentielle de dosage personnel et adapté au texte.
Élaboration et différenciation des interventions des personnages dans le dialogue
« Moi, j’aime bien qu’il y ait de la conversation dans un livre, mais ce que je n’aime pas c’est qu’on me dise à quoi ressemble le gars qui parle. Je veux savoir comment il est d’après la façon dont il parle. Savoir ce que le gars pense d’après ce qu’il dit… J’aime aussi qu’il y ait des descriptions, mais pas trop quand même. » John Steinbeck, Tendre jeudi.
Il est intéressant que l’on puisse reconnaître les personnages par leur façon de s’exprimer, les tournures, expressions personnelles, tics de langage, formes verbales, type de phrase : créer une « parlure ».
Il s’agit aussi de faire entendre leur voix, une sorte de « geste vocal » spécifique, une attention aux sons, aux pauses, aux élans de la parole - débit, accents, étirement, suspend…- une sorte de mélodie, qui permet de sentir une élocution particulière, une sorte de timbre.
Même si le dialogue laisse la place, dans des incises et les apartés, aux pensées des protagonistes, à des commentaires intérieurs, la mise en place ou l’approfondissement des personnages se fait surtout par les paroles échangées qui font sentir l’état d’esprit, mais aussi leurs changements, l’évolution des émotions et des sentiments. Il ne s’agit pas de se servir des répliques pour présenter les personnages. Il est préférable de penser que le dialogue donne une sorte d’accès direct au personnage comme une rencontre informelle avec tout ce qu’elle a d’intense, de superficiel, de faux parfois. La parole échangée permet de situer indirectement le personnage socialement, culturellement. Mentalement aussi : son imaginaire transparait au travers de ses mots. Il faut ainsi donner à chaque personnage son « ton » particulier (qui peut évoluer).
Le dialogue est un moment de vie inséré directement dans le récit, il doit prendre le risque de l’incompréhension ou, plutôt, tenter de susciter l’intuition, la perception des personnages au travers de leurs mots, de leur ton, leurs attitudes, leurs réactions, et peu par le factuel.
Il ne faut pas chercher à expliquer, plutôt à simuler une présence.
Le dialogue interroge la possibilité de la vérité de l’échange : les paroles expriment, mais aussi trahissent, dissimulent l’être du personnage. C’est l’un des enjeux au centre de la proposition sur l’aveu qui invite aux dévoilements, aux conflits, aux esquives aussi. Il faut assumer que le dialogue soit un jeu entre les personnages, l’aveu leur ouvrant, peut-être, la possibilité de les faire sortir de leurs rôles. Rappelons que la conception classique du « personnage type » a laissé la place, notamment avec le Nouveau Roman, à une simple instance indéterminée, mouvante ou à la recherche d’elle-même.
Rythme et dialogue
Le dialogue s’insère dans le récit et, comme la description, il introduit une rupture dans la dynamique narrative. Il se déroule avec un rythme particulier : enchainement des répliques interrompues parfois par des didascalies, des apartés ou pas… Ces enchainements obéissent à des conventions, à des règles de la communication, de la rhétorique (art du langage), mais aussi aux codes sociaux et culturels, aux règles de coopération.
La parole est flot, flux, débit : l’écriture risque de la figer, il s’agit donc de discipliner le foisonnement verbal sans étouffer la vie.
Le rythme dépend de la situation et du tempérament ou de l’état affectif des personnages : changements de rythme, coupures, accalmies, emballements, silences, moments de cristallisation dramatique se distribuent en fonction des enjeux dramatiques et des attentes des personnages.
Avec l’aveu, la relation est dissymétrique : attente, rapport de force, espoir, fuite…
Il faut gérer la tension entre des pôles : l’oralité et sa dynamique particulière / la formalisation et l’exploitation des ressources de l’écriture littéraire.
Le travail rythmique du dialogue consiste à veiller à la vivacité, mais aussi à en soigner les articulations - entre répliques et avec les digressions - ainsi que les coupures, les ruptures qui sont de pauses chargées de sens.