Exemples de clichés et de leur réécriture

Clichés définition

Exemples de clichés et de leur réécriture

 

Il existe plusieurs "styles", plusieurs types de clichés, j'ai tenté d'en faire la classification.

Le cliché propre à la langue courante, à la langue parlée ou à la langue des médias - expression toute faite qui n’a souvent jamais été littéraire -  est une simple image : 

- On trouve beaucoup de comparaisons typiques de chaque langue, elles peuvent facilement donner lieu à de savoureuses réécritures :

Bête comme une oie ou têtu comme une mule, beau comme un dieu, fort comme un turc, pâle comme la mort, solide comme un roc, laid comme poux, long comme un jour sans pain, raide comme la justice, sale comme un peigne, souple comme un barreau de chaise, maigre comme un coucou...

- Des locutions, ces expressions idiomatiques -propres elles aussi à chaque langue- qui fonctionnent comme des métaphores (comparaison sans le "comme "), ce sont des éléments de langage très intéressants, nous y reviendrons.

Donner sa langue au chat, avoir un chat dans la gorge, avoir le cœur sur la main, reprendre du poil de la bête, le champ de ruines, être soupe au lait... 

-   Les associations clichées sont des manières de qualifier qui ont quelque chose de systématique, l'on peut rarement les utiliser telles quelles (sauf par dérision ou pour un effet comique) :

Un rire en cascade, un ami dévoué, une fourmilière humaine, une peau de pêche, un teint de lait, un cœur de pierre, des doigts de fée, un appétit d’ogre, un cœur d’or, un caractère de chien, un regard d’aigle, une taille de guêpe, un cœur d’artichaut...

-   Les éléments du langage  journalistique qui ne peuvent eux aussi être utilisés qu'à des fins d'ironie, de décalage...

Pratiquer la politique du bras de fer ; l'état débloque des fonds ; les avions cloués au sol ; c'est dans l'ADN de ; la balle est dans le camp de ; il doit revoir sa copie ; une flambée de violence ; c'est le cœur du réacteur de…

 

Le cliché dans le style écrit qui se veut « littéraire » :

Pour celui qui écrit, un des grands pièges est le « cliché littéraire », l’expression qui semble donner un caractère de « langue écrite » avec  l’impression du « bien écrit », du soigné. Ces clichés font de la langue littéraire un « parlé » caricatural et sans surprise, semblable au « parler Belge » ou « marseillais » en moins fleuri, avec leurs expressions attendues, un dialecte littéraire que l’on adopte en toute innocence en croyant « faire bien » ou bien faire. C’est faire de l’écriture une imitation et oublier que c’est une création, au moins partielle.

On retrouve ici essentiellement des associations adjectifs + noms, des façons de décrire, de qualifier, vides de sens à force d'être utilisées :

Les souvenirs impérissables, la mer déchaînée, le cancer foudroyant, la spirale infernale, le sourire ravageur ou carnassier, les combats acharnés, la défaite cuisante, le démenti formel, les sourcils broussailleux, le regard perçant, la végétation luxuriante, la rupture douloureuse, une ambiance feutrée, une atmosphère tendue, une campagne profonde, une maison bourgeoise, un escalier majestueux, un homme affable, un jardin soigné, une géométrie variable, une joie innocente, une liaison tumultueuse, un pli amer, la confiance aveugle, l’amitié indéfectible, la banalité affligeante, la vitesse foudroyante, l’odeur âcre, passer un temps fou...

Et que dire du frêle esquif, de la marque indélébile, l’étrange accoutrement, la contrée lointaine ou inhospitalière, la foule bigarrée,  ; la gratitude infinie...  Sans oublier : les  mortelles inquiétudes, l’amour éternel, interdit ou profané… 

Quelques exemples de qualifications sans adjectifs :

Les lèvres de corail, sa chevelure d’ébène ou de jais, des cheveux d’argent ; un mariage d’amour ; la foule en délire ; une liaison sans lendemain ; un sommeil sans rêves...

Quelques formules verbales :

Monter les escaliers quatre à quatre ; fouler au pied les idoles ; briser les tabous ;  son sang ne fit qu’un tour ; prendre sa plume ; reprendre le flambeau ; tomber dans un abîme de ; embrasser du regard ; disparaître comme par enchantement...

Certains usages d'adverbes :

Manquer cruellement de ; le placard désespérément vide...

 

Clichés et langue littéraire

Il ne faut pas confondre ces clichés avec l'usage de ce que l'on peut appeler la "langue littéraire" au sens d'un vocabulaire spécifique à l'écrit : vocabulaire large souvent plus riche que la langue courante. Je ne partage pas le refus de certains critiques qui considèrent que ce type de vocabulaire (par exemple le verbe "surgir") est forcément vieillot. C'est un outil précieux. Il n'est pas simplement  "soigné", ou de "registre élevé", il permet cette distance qualitative de l'univers de la littérature ainsi "gravir un escalier" n'est pas la même chose que "monter un escalier", il marque une attention, une importance donnée au geste qui porte en lui plus qu'un simple mouvement. Il produit un effet analogue à celui de l'usage du passé simple, un temps du récit et du refus de l'insignifiance, de la transparence des mots.

Ainsi, à trop traquer les clichés, l'on prend le risque d'exclure non plus des associations usées, mais des mots qui, par leur aspect écrit et spécifique, peuvent être perçu comme des clichés. Ainsi si "briser des tabous" a été trop largement utilisé pour être encore expressif, le verbe "briser" appliqué à une abstraction ou une émotion ne peut être rejeté systématiquement.

 

Exemples littéraires

Voici un extrait d'un roman "Le roi de Kidji ", écrit par Delly, un double auteur - un frère et une sœur - qui ont eu leur "moment de gloire"  (expression clichée, je m'en excuse, mais elle dit bien ce qu'elle veut dire...) dans la première partie du XXe et sont toujours réédités. C'est le "bien écrit" de la littérature "à l'eau de roses" et du roman populaire sentimental qui correspond à un idéal sucré d'histoires d'amour trompé avec des personnages manichéens. C'est une forme d'expression presque paradoxale tant elle est à la fois maniérée et imprécise.

" La ville semblait étendue et donnait la plus riante impression, avec ses maisons de bois à colonnette sculptée, à vérandas élégantes, qui s'élevaient au milieu de jardins. Les voies, assez étroites, étaient bien entretenus avec une eau claire, venue sans doute de la montagne coulait dans des caniveaux de pierre polie. Au centre d'une place s'étendait un large bassin, fait de pierre d'un gris bleuâtre. Et au-delà, dans l'ombre mystérieuse d'un jardin à l'exubérante végétation... Dans l'atelier, Dinha goûtait tout en causant avec M. de Faligny. Elle ne semblait aucunement gênée de se trouver seule avec lui, et, gracieusement pelotonnés dans les coussins, elle le couvait de ses regards les plus caressants. Lui, légèrement grisé par sa beauté, par cet amour qu'elle lui dévoilait avec un attirant mélange de coquetterie et d'ingénuité, la considérait avec une complaisance qui mettait dans son regard une douceur charmante.
Puis, un silence tomba entre eux, Dinah avait un peu abaissé les grands cils pales et soyeux qui bordaient ses paupières.
Un sourire discret et charmant entrouvrait ses fines lèvres roses. Le visage aux tons de neige palpitait, se colorait délicatement...
Et Raymond cédant à sa griserie, prit la petite main blanche et tiède, y appuya ses lèvres et murmura :
- Ma jolie Diane, vous êtes vraiment délicieuse !"

Je ne résiste pas au plaisir de vous livrer la suite  :

"Et la jolie tête blonde s'inclina sur l'épaule de Raymond. Il eut un mouvement de recul, un subit durcissement de la physionomie. Son intelligence prompte, subtile, aisément défiante, surtout à l'égard des pièges féminins, lui fixait entrevoir soudainement celui que Miss Barnett - ou plus probablement sa mère avait préparé à son intention. La jeune fille, très éprise et coquette d'instinct, était un instrument parfait entre les mains de cette aventurière. Et toutes deux escomptaient le caprice du comte de Faligny pour Dinah, qui leur permettrait de faire tomber cette belle proie dans leurs filets."

Expressions toutes faites dans la littérature grand-public contemporaine :

On retrouve ici l'idée de proximité : donner l'impression au lecteur- qui sont souvent des lectrices - de se retrouver avec ses propres mots dans le texte. Il existe une "efficacité" - ce mot managérial et productiviste se retrouve de plus en plus souvent dans la critique littéraire - incontestable dans cet usage du cliché. C'est l'une des clés de ce type de succès de librairie.

-  Le vocabulaire quasi journalistique donne un aspect très actuel et une expression de rapidité dans cet extrait emprunté à un véritable virtuose du genre :

Votre avenir se joue là-bas. Si vous confirmez votre triomphe en Corée, c’est toute l’Asie que nous serons en mesure d’intéresser à vos écrits. Pensez au Japon, à la Chine, et si nous nous débrouillons correctement, nous pourrions même convaincre votre éditeur américain de surfer sur la vague. Une fois que vous aurez vraiment percé aux États-Unis, vous ferez un tabac en France, les critiques vous adoreront.   Marc Lévy, Elle et lui. 

-  Expression attendue d'émotions et de sentiments eux-mêmes attendus :

Elle se demande parfois tout à coup, en plein vol, en plein rire, pourquoi elle est cassée en deux de tristesse, pourquoi elle se sent vidée de ses forces, pourquoi elle n'a plus de joie en elle, et voudrait mourir. Elle a mis du temps à identifier la source du malaise. Elle fouillait dans sa mémoire et se débattait contre un voile noir. Un jour, le voile s'est déchiré et elle aurait préféré ne pas avoir de mémoire. Si elle parle, ce soir, ce n'est pas par hasard. C'est que le mal a resurgi. Elle a un flair d'animal blessé, elle devine le bourreau, le couteau, le tueur embusqué. Ce soir, elle a été trahie. Elle ne sait pas comment, elle ne sait pas par qui. La vieille peur a surgi en elle. Elle éprouve le même malaise, la même douleur de bête traquée qu'avant, il y a longtemps. C'est venu après le diner, quand elle a parlé. Ça lui a rappelé M. Brieux... et oncle Antoine. Le souvenir a jailli comme un coup de poing, dès qu'elle s'est allongée dans le lit, dans le noir de la nuit.       Katherine Pancol, Encore une danse

 

Littérature clichée

A la suite de Pierre Mari dans son ouvrage Contrecœur qui traite de la littérature contemporaine, j'insisterai sur le fait que le cliché n'est pas seulement une question de style et d'esthétique, il est aussi le support de représentations figées, de certitudes à remettre en doute, de psychologie stéréotypée dont il importe de questionner la justesse. Question de formes, mais aussi question de fond - même si cette dichotomie fond / forme est contestable - l'expression par clichés est souvent l'expression d'idées, de personnages, de situations stéréotypées.

 

Utiliser des clichés ?

Le cliché reste parfois riche de sens, garde une partie de son effet, il est dommage de s’en priver de façon systématique.

Voici un exemple extrait de Siloé, roman de Paul Gadenne"Mais il crut percevoir, à l’étage inférieur un bruit de pas. Il se précipita, descendit l’escalier quatre à quatre."

L'utilisation de la formule "l’escalier quatre à quatre" contribue au rythme de la phrases et à l'impression de mouvement. Elle trouve sa place dans un texte écrit par ailleurs de façon très personnelle et évocatrice.

Le cliché doit donc être repéré, non pour le supprimer systématiquement, mais pour l’évaluer et s’en servir, ou pas, selon ses objectifs propres.

Ainsi, il peut aussi être une source d’humour et de jeux de mots.

  Comme l'a fait Boris Vian dans L’Écume des jours lorsqu'un pharmacien, pour exécuter une ordonnance, utilisait une guillotine de bureau, ou cet escalier "usé toutes les trois marches parce qu’on le gravissait quatre à quatre."

 

Revisiter les clichés

Avec ce dernier exemple, l'on découvre le potentiel qui subsiste dans le cliché lorsqu'il est utilisé à bon escient ou de façon inattendue. Ainsi, pour certains auteurs contemporains , l’enjeu se situera dans leur utilisation originale. Ils les utiliserons, mais en marquant une forme de distance dans laquelle se rejouera la dimension littéraire des expressions utilisées.

« La poésie montre nues, sous une lumière qui secoue la torpeur, les choses surprenantes qui nous environnent et que nos sens enregistraient machinalement. [...] Car, s’il est vrai que la multitude des regards patine les statues, les lieux communs, chefs-d’œuvre éternels, sont recouverts d’une épaisse patine qui les rend invisibles et cache leur beauté. Mettez un lieu commun en place, nettoyez-le, frottez-le, éclairez-le de telle sorte qu’il frappe avec sa jeunesse et avec la même fraîcheur, le même jet qu’il avait à sa source, vous ferez œuvre de poète. » Jean Cocteau, Le Secret professionnel.

La poésie « répugne à laisser passer tout ce qui peut être déjà vu, entendu, convenu, à se servir de ce qui a servi, si ce n’est en le détournant de son usage préalable. » André Breton.

Il s'agit donc d'être inventif à partir d'une base éculée, de faire travailler de nouveau l’imaginaire !

    On peut les prendre au pied de la lettre : comme dans ce sketch de Raymond Devos

« Je vois le portier de l’hôtel; je lui dis : - Je voudrais voir la mer.
- Elle est démontée.
- Vous la remontez quand ?
- Question de temp
s. »

    Avec Jean Echenoz  les clichés sont détournés, revisités avec imagination et humour :

Certaines grandes blondes incandescentes s’élancent bras ouverts au-devant du monde. Elles parlent vivement, rient légèrement, pensent vite et boivent sec. Elles regardent fièrement le monde, elles lui adressent des sourires terribles et généreux. Parfois le monde se trouble à leur vue, parfois il est intimidé par cette façon sûre, certaine et décolletée de s’élancer vers lui, vers vous, bras grands ouverts en direction des vôtres. Gaieté, redoutable gaieté de ces grandes blondes solaires.  

    « Toujours perché, jamais chat. » J.L. TrassardParoles de laine.

     Par renversement « perdre ses illusions » devient « Les Illusions perdues » de Balzac.

    Réinvention du « rire en cascades »  :

« L’étudiant, bon vivant, dont le rire continuel semblait être une cascade de pièces de cuivre, en pinçait pour une apprentie comédienne. » Philippe Claudel

"le plaisir fragile de la joie de l'enfance, du rire sans réserve ni sous-entendu, embaumé de pureté, et que de temps en temps il me semble entendre, voyez-vous, en revenant chez moi, dans une rue déserte, résonnant dans mon dos en cascades moqueuses." Antonio Lobo Antunes, Le Cul de Judas

  On peut jouer  avec la grammaire: « La voix d’or » devient chez Proust « l’ensoleillement de sa voix dorée.»

"Les versants glacés " : Le soleil éclairait la glaçure des versants" chez Sylvain Tesson

    On trouve chez Jean Giono une façon de revisiter les expressions en jouant avec le concret et l'abstrait :"En posant ma main sur son regard."   ou   "Un gros silence, dur comme une pierre"

   Chez Gabriel Garcia Marquez : "Tordre le cou au cygne de l’imagination..."
"Ils allaient vers cette terre qui ne leur avait été promise par personne."

  Léon Bloy, le Désespéré : " Il m'a regardé alors avec des yeux de merlan au gratin."

 "Nous pourrons, alors, faire l'acquisition d'un nouveau cheval de bataille pour la revanche ou pour la mort."

Voici un texte qui mêle avec bonheur clichés retravaillés ou pas :

« La fille qui longtemps lui a plu et qu’il voyait dans un épuisement douloureux prendre le frais chaque midi sur l’appui de la fenêtre, offrant au jeune idiot à l’affût sa superbe impudeur, le bleu catin de ses paupières, le rouge en cœur de sa bouche, un regard mangé d’ennui louchant à travers le torrent des cheveux, tout son buste hardiment dégrafé et transparent comme une paume sur le décor peint en noir de l’alcôve où, tard dans la nuit, un rire coupé de merveilleuses plaintes le jetait hors du lit pour rouler au sol, déchiré par le désir, accablé par sa misère, avec les mouvements de fureur d’une bête famélique rongeant ses barreaux» Louis-René des Forêts, Ostinato

 

En guise de conclusion provisoire

A la relecture d'un texte, on peut donc supprimer ou garder certaines expressions toutes faites si elles collent au ton du texte, semblent parfaitement adaptées.

On peut aussi retravailler les clichés : il s’agit de les ranimer, de les réveiller, de les rajeunir, en repartant de l’image de départ, lui « donner un nouveau souffle ». (Expression trop clichée, tant pis, je la garde !)

On peut inverser les mots, changer leur nature grammaticale (au lieu de l’odeur âcre : l’âcreté de…),  les prendre au premier degré, séparer les mots dans la phrase, les entrecroiser,  les étaler sur  tout un paragraphe (relire l'exemple du rire en cascades).

On peut aussi chercher des synonymes, faire des jeux de mots…

Une piste évidente et essentielle : qu'est-ce que le cliché veut dire dans la situation précise où il se trouve dans le texte ?

Choisir ses clichés, jouer avec comme l'on peut jouer avec les interdits, un réel plaisir d'écriture !

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