L'allégorie

Allégorie-cinéma-contemporain

L'allégorie figure de style classique et contemporaine     

On rencontre assez peu d'allégories dans les textes contemporains. Pourtant, cette figure ne manque ni de charme ni de puissance évocatrice. Elle évoque un concept, une idée, une abstraction en les matérialisant sous la forme d'une histoire, d'un personnage, d'une image. Les différents aspects de l'idée sont représentés soit par les éléments de l'histoire, les caractéristiques du personnage ou les détails de l'image. Elle permet une sorte de compréhension directe de la notion représentée, non par le raisonnement ou la didactique, mais par une saisie directe, l'idée se matérialise et peut même s'incarner.

Ainsi, "L'allégorie de la caverne" de Platon donne vie à plusieurs idées abstraites : la connaissance comme effort, le progrès, la pensée comme lumière, les erreurs dues aux sensations, la nécessité d’une éducation…  qui se trouvent comme mises en application dans une histoire et représentées par de symboles, l'obscurité de la grotte, les ombres, l'ascension sur la paroi...

Allégorie de la caverne de Platon

Les contours de cette figure ne sont pas simples à dessiner. L’allégorie, comme la rhétorique dont elle est l’une des figures, est le fruit d’une longue histoire, elle y a pris a de multiples facettes. Moyen d’expression, outil d’interprétation de la Bible, de réflexion sur le mythe, l’allégorie est polysémique. Elle a été, pendant son long périple, sujet de controverses. Figure antique réinventée par le romantisme - qui lui préfère toutefois le symbole - l'allégorie  a eu les faveurs de Baudelaire (qui s’affirme « amoureux de la rhétorique profonde ») puis de Paul Claudel ou  Stéphane Mallarmé. Souvent associée à la peinture académique du XIXe, décriée par les modernes qui la jugent trop codée, conventionnelle et didactique, nous tenterons ici de la revisiter.

Allégorie de la justice

Nous laisserons de côté l’allégorie comme interprétation des textes religieux ainsi que « l’allégorie histoire » qui, sous couvert d’un récit, raconte une autre histoire. C’est le cas de la Ferme des animaux dans laquelle George Orwell dénonce, au travers d’une collectivité d’animaux, un type de fonctionnement politique. 

Nous nous centrerons sur l’allégorie au sens de personnification d’une abstraction. Ce type d’allégorie est très présente dans le domaine de la peinture et de la sculpture. Il s’agit, par exemple, en peignant un personnage, de représenter la mélancolie. Ainsi l'allégorie permet de « rendre sensible l’idée aux yeux  : alors peindre c’est définir ». M. Marmontel. 

L'allégorie se rapproche de la personnification quand la figure qui incarne l'idée n'est pas un simple support de signes ou de symboles. Ainsi, l’allégorie de la justice dans la sculpture ci-dessus fonctionne au travers de ses attributs ( les objets qu’elle porte comme la balance), elle ne constitue pas un personnage particulier, individualisé. La notion de personnage implique une unité : un physique, un comportement, une présence cohérente avec l’idée représentée. 

L'allégorie, cette personnification développée prend ainis une valeur emblématique que l'on retrouve par exemple chez Hugo. Les romantiques lui préfèreront le symbole qui unit en un seul signe, l'image, l'idée et la notion qui sont séparées dans l'allégorie en une figure et ses attributs. Le symbole peut avoir plusieurs sens et c'est ce qui le rapproche du mythe.qui, moins encore que le symbole, se laisse réduire à une signification unique.

Melancolia, Albrecht Dürer, 1514.

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Des exemples classiques de ces allégories « personnages » sont les vices et les vertus dans la littérature, dans la peinture ou la sculpture) médiévale, et les vertus encore dans l'œuvre de Charles Péguy. Del'Aurore-aux-doigts-de-rose" d’Homère aux films tels que la mort dans le Septième Sceau d'Ingmar Bergman ou dans Orfeu Negro de Marcel Camus, en passant par les allégories du Roman de la Rose, on constate la permanence de cette figure.                                             

Voici d'autres exemples :

- L’habitude venait me prendre dans ses bras et me portait jusque dans mon lit comme un petit enfant. Marcel Proust - Du côté de chez Swann.

- Dans la brume tiède d’une haleine de jeune fille j’ai pris place. Henri Michaux - Espace du dedans. 

- La mer perfide hululait doucement : ses molles lèvres vertes baisaient sans relâche à féroces baisers, la dure mâchoire des roches. Il essaya de se dresser : ses jambes, des algues ! Ses bras, des fumées d’embruns ! Il ne commandait plus qu’à ses paupières et, elles étaient ouvertes sur la désolation du ciel ! Il ferma les yeux. Le désespoir se mit à lui manger le foie.  Jean Giono - Naissance de l’Odyssée

- Le Temps mange la vie. Baudelaire, Les Fleurs du Mal, « L’Ennemi »

- La rêverie… une jeune femme merveilleuse, imprévisible, tendre, énigmatique provocante à qui je ne demande jamais compte de ses fugues. André Breton, Farouche à quatre feuilles

Une sorte de métaphore filée ?

L’allégorie, comme la métaphore, utilise le langage avec des glissements de sens. Elle est d’ailleurs souvent définie comme une métaphore « filée, animée et développée », une métaphore explorée sur plusieurs phrases ou plusieurs paragraphes.

Il me semble important de tenter de saisir ce qui les différencie. La métaphore utilise un lexique autre que celui du sujet du texte, mais celui-ci reste le sujet, dans l’allégorie, l’on change de sujet et le vrai sujet apparait sous la forme d’un simple nom ou par une révélation à la fin (et parfois pas du tout).

La métaphore se concentre sur un rapprochement de deux univers qu’elle explore, l’allégorie joue sur un double sens : personnage et idée. La métaphore est rapprochement de deux univers, l'allégorie est remplacement de l'abstrait par la figure qui l'incarne.

Interêt de l’allégorie et de la personnification  ?

Sans se confondre avec elles, l’allégorie, se situe dans les parages de la métaphore, de la personnalisation, du symbole ou encore de la fable, de toutes ces façons de dire, d’écrire qui reposent sur l’analogie, cette forme de détour, de glissement qui, pour partager une expérience, fait appel à une autre expérience supposée commune ou plus facilement exprimable. Ces différentes figures ne sont pas toujours évidentes à différencier.    

Comme la métaphore, l’allégorie et la personnification semblent parler de quelque chose et disent autre chose que ce qu’elles disent. Elles créent ce que l’on peut appeler une « fiction verbale ».

L'étymologie est significative : elle vient du grec "agoreueîn" (parler) et "allos" (autre) pour "parler autrement".

Il est intéressant de garder à l’esprit le ressort de ce type de figures : un effet particulier produit sur le lecteur, une utilisation particulière du langage qui provoque des processus cognitifs spécifiques, la lecture n’est plus simplement reconnaissance du sens des mots et de leur association, mais déchiffrement. L’allégorie peut ainsi prendre aussi une dimension d’énigme.

Elle propose une voie intermédiaire entrela pensée conceptuelle -qui utilise l’abstraction- et le récit avec des exemples. Elle se construit sur une tension entre le matériel et le spirituel.

Pourquoi personnifier ou utiliser une allégorie? Pourquoi parler de « la Guerre » comme d’une personne ? Quel moyen de penser, de sentir nous offre la personnification pour avoir été explorée tant de fois? Que nous dit-elle de plus ?

L'allégorie crée un pôle, vivant, organique qui unifie les diverses manifestations d'une notion, une instance unique, active, concrète qui permet de saisir quelque chose de la totalité, des manifestations et des détails de l’idée. Ce n'est pas par hasard que les grandes religions repose sur la personnification des dieux. 

Pour Claude Simon qui a souvent eu recours à l’allégorie, elle permet de « répondre à la question : comment raconter l’indicible. ? »

Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. − Et je l’ai trouvée amère. − Et je l’ai injuriée. Arthur Rimbaud - Une saison en enfer, Prologue

Essayons d'exprimer la même idée sans l'allégorie de la Beauté :

 « Un soir, assis devant un feu, j’ai réfléchi à l’idée de beauté et mes pensées étaient amères. Je les ai chassées de mon esprit violemment. »

L'effet n'est assurément pas le même !

Allégorie et énigme 

Inversons l’exemple emprunté à André Breton :

Une jeune femme merveilleuse, imprévisible, tendre, énigmatique provocante à qui je ne demande jamais compte de ses fugues. La rêverie…

Au lieu de: La rêverie… une jeune femme merveilleuse, imprévisible, tendre, énigmatique provocante à qui je ne demande jamais compte de ses fugues.

En ne donnant pas tout de suite le sens de l’allégorie, l’on permet au personnage d’être perçu comme réel avant de « représenter » une abstraction.

La puissance de la métaphore vient de la rencontre des deux univers. Véritable collision de sens, elle propose une vision nouvelle du sujet. On peut parler, à propos d’une métaphore réussie, d’événement cognitif. Elle ne joue pas sur l’énigme. L’allégorie, en jouant sur celle-ci, prend le risque, une fois le voile levé, d’être moins explosive, plus prévisible, avec moins d’épaisseur de sens.


« L’allégorie est toujours susceptible d’être traduite dans un texte intelligible par lui-même ; une fois ce meilleur texte déchiffré, l’allégorie tombe comme un vêtement inutile ; ce que l’allégorie montrait en le cachant peut être dit dans un discours direct qui se substitue à elle. Par sa triple fonction d’universalité concrète, d’orientation temporelle et enfin d’exploration ontologique, le mythe a une façon de révéler, irréductible à toute traduction d’un langage chiffré en un langage clair [...], le mythe est autonome et immédiat : il signifie ce qu’il dit. » Paul Ricœur

Construireune allégorie contemporaine ne peut pas se contenter de réunir les symboles ou des éléments concrets qui renvoient à un code comme le plateau renvoyait à l’idée de la justice ou le sablier à celle du temps. L’allégorie, pour fonctionner dans un texte contemporain, sans être nécessairement énigmatique, se doit d’être allusive, d'avoir un sens plus ou moins caché : elle fonctionne comme un hiéroglyphe dont il faut dessiner les contours plus ou moins proches de son modèle. Il s’agit de jouer avec la transparence et la dimension d’énigme. Il existe un fort potentiel ludique dans cette transposition / création. D’une part, le lecteur prend plaisir à repérer le caractère « voilé » du texte et, de l’autre, son plaisir se trouve accru s’il parvient à lever le voile du texte, c’est-à-dire à expliciter les deux termes (littéral et figuré) sur lesquels se fonde l’analogie mise en œuvre dans le texte.

Dans la mesure où l’allégorie fonctionne essentiellement sur un sens littéral - le personnage est d'abord un personnage avant de représenter une idée - le lecteur peut tout à fait passer à côté du sens second - ne pas penser à l'idée sous-jacente - ou, au contraire, sur-interpréter le texte et voir du second degré partout. Pour éviter cet écueil, un élément doit faire « naître la conviction que le texte recèle un sens caché », qu’il y ait « soupçon » d’allégorie : nom du personnage, contexte, allusion…

Moins philosophiques, moins politiques, plus psychologiques ou psychanalytiques, les allégories contemporaines travaillent sur l’idée de personnage, de double psychique, de fantasme, tout en s’efforçant de ne pas s'enfermer dans les stéréotypes et les codes conventionnels. L’allégorie correspond à un désir de montrer l’ambivalence, au risque de ne pas être compris ou de l’être trop, de demeurer une énigme ou de reproduire un cliché.

Elle peut ainsi trouver une place dans l'écriture contemporaine par sa capacité à y injecter du secret et de l'ambiguïté.

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Article  sur la personnification

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