Je viens de lire par hasard dans un site traitant d’écriture littéraire qu’il faudrait se méfier des métaphores, car elles vous entrainent, sans que vous vous en rendiez compte, dans une sorte de philosophie du « Tout est dans tout » et qu’elles vous éloignent de ce que vous avez à dire. Comme chaque fois que je rencontre une pensée qui n’est pas la mienne, je m’interroge. J’explique en effet moi aussi, lorsque j’introduis la métaphore en atelier, qu’elle nous rapproche d’une vision de l’univers proche de celle de l’époque médiévale ou baroque, celle où l’on soignait le cerveau en mangeant des noix, car leurs formes ont quelque chose d’analogue.
Il s’agit bien d’une forme de naiveté pré scientifique, d’une conception cosmologique difficile à soutenir telle quelle aujourd’hui. Cependant, il me semble que l’usage de la métaphore et plus largement de l’analogie en littérature, concerne ce qui reste inaccessible à la science : l’expérience vécue, l’imaginaire, la perception dans son aspect intime, l’émotion, le sentiment… autant de domaines dans lesquels la science ne peut intervenir directement et cela me parait plutôt rassurant. Quantifier, mettre en algorithmes ces domaines, ne correspond pas à mon approche de ce qui est proprement humain.
La question du "Tout est dans tout" de la métaphore n'est donc pas une question de vision scientifique. C’est le langage lui-même qui est métaphorique. On peut vouloir y échapper, je pense pour ma part que ce n’est qu’un appauvrissement inutile. Penser que la méfiance envers la métaphore permettrait d’atteindre une expression juste, se débarrassant ainsi d’illusions étouffantes qui agiraient à l’insu de celui qui écrit, c’est ne pas s’être interrogé sur le fonctionnement du langage et de l’imaginaire.
Le langage cherche dans des directions multiples, le mot qui désigne quelque chose en particulier est toujours teinté de généralité (ainsi le nom commun, comme le terme l’indique, est à la fois précis et commun. Ainsi dans la description d'une chaise, le mot "chaise" élimine tout ce qui n'entre pas dans la catégorie des chaises, mais ne peut restituer la particularité de la chaise sur laquelle je suis assise à cet instant). De même, les qualités s’expriment en fonction d’une expérience autre : cet homme est grand par rapport à d’autres hommes qui ne le sont pas…
L’illusion ne me semble donc pas dans la métaphore qui glisserait en nous un "Tout est dans tout" envahissant et trompeur, mais dans la croyance que l’on peut écrire sans analogie avec pour seule recherche la précision. Car les mots eux-mêmes fonctionnent grâce à une sorte de "Tout est dans tout" : le bleu n’apparait bleu que grâce à l’analogie avec nos autres expériences du bleu. Et que dire de toutes les locutions de la langue courante qui utilisent l’analogie pour permettre de faire « saisir » à l'autre, de partager quelque chose de particulier : "cet homme est doux comme un agneau". Il y aurait donc de l’agneau dans l’homme ? Assurément. La douceur est une qualité d’être que l’analogie permet d’exprimer, bien mieux que : "C’est un homme doux" qui reste vague. Sans image associée, sans lien à d'autres expérience, sans analogie, l’expression ne fait rien vibrer, ne montre rien, finalement, elle tourne à vide. Mon exemple est une locution cliché ? Cela est une autre question, elle veut bien dire ce qu'elle veut dire et fait sentir ce que recouvre l'idée de douceur. Ce type d'exemple montre aussi combien le procédé analogique ou métaphorique (être soupe au lait, avoir un caractère de chien...) n'est pas une question de classe sociale ou d'écriture sophistiquée, mais d'efficacité langagière.
Tout n’est pas dans tout, mais le langage ne me parait pas constitué d'une multiplicité de boites dans lesquelles chaque chose, action, qualité ou émotion serait rangé séparément et qu’il suffirait de bien choisir ses boites pour écrire avec justesse et liberté.