Mythe et littérature

Réécriture-mythes

Mythe et littérature

« Les mythes attendent que nous les incarnions. Qu’un seul homme au monde réponde à leur appel, et ils nous offrent leur sève intacte. » Albert Camus, l’Été.

Qu’est-ce qu’un mythe ?

« Il serait difficile de trouver une définition du mythe qui soit acceptée par tous les savants et soit en même temps accessible aux non-spécialistes. D’ailleurs, est-il même possible de trouver une seule définition susceptible de couvrir tous les types et toutes les fonctions des mythes, dans toutes les sociétés archaïques et traditionnelles ? Le mythe est une réalité culturelle extrêmement complexe, qui peut être abordée et interprétée dans les perspectives multiples complémentaires. » Mircea Eliade

Je ne tenterai donc pas de donner une définition, mais de déployer différents usages du mot.

— Commençons par son étymologie.

Dérivé du grec muthein (μυθειν, converser), muthos, le mythe est à l’origine un récit fabuleux et populaire, une légende qui raconte les aventures d’êtres qui personnifient les forces de la nature. Le passage du muthos (μῦθος) au logos (λόγος) marque, pour le philosophe Karl Jaspers, la naissance de la démarche philosophique : passage de la dimension d’explication du monde par le récit à celle de rationalité.

Cette séparation marque le double héritage du mythe :

  •   Celui du : mythe fondateur, récit universel. À la suite de Lévi-Strauss qui puise dans l’étude des sociétés « primitives » l’idée d’une structure inconsciente des phénomènes collectifs tels que la parenté, on peut voir dans les mythes des structures mentales communes.
  •     A l’opposé, ce que l’on retrouve dans une expression comme « Ce n’est qu’un mythe » : un mensonge, une affabulation : nous ne reprendrons pas ce sens péjoratif et imprécis, mais il illustre l’autre dimension du mythe : se situer dans une autre réalité, celle de l’imaginaire 

Le mot « mythologie » désigne l’ensemble des mythes d’une culture, d’une société, ou d’un domaine.

Différents types de mythes

Deux approches principales dans l’étude des mythes : 

  • celle qui pense le mythe comme un universel humain, une catégorie de pensée : des types de relations humaines, des situations qui se retrouvent comme des constantes qui donnent une valeur exemplaire au mythe. Le mythe est alors pensé comme la trace des déterminations inconscientes de l’âme humaine, d'une mise en récit des tendances affectives fondamentales comme la violence ou l'interdit social.
  • une approche plus pragmatique qui étudie les mythes dans la diversité des sociétés et des époques qui leur donnent naissance. 

Rappelons deux interprétations de Roger Caillois :

  • Le mythe serait le lieu d’accomplissement d’instincts interdits par les structures sociales.
  • Le résultat du conditionnement biologique de l’imagination, la mise en récit serait une sorte de succédané de l’instinct.

Une de ses caractéristiques essentielles est son caractère symbolique : il part du concret (les éléments d’une histoire) pour représenter un ordre plus vaste et s’inscrit dans l’ordre de l’universel ou, tout au moins, il structure, sert de modèle, de référence à un groupe dont les membres, consciemment ou inconsciemment, y cherchent des réponses.

Le mythe marque l’importance de la dimension « d’histoire racontée » dans l’appréhension humaine de la réalité : on la trouve dans les mythes, mais aussi dans les grands récits historiques et légendaires et les récits religieux, notions qui ne sont pas toujours faciles à différencier.

Remarques sur le mythe et la philosophie

Avant d'identifier les grands types mythes, il faut rappeler que le mythe ne fonctionne pas en faisant appel à la raison, mais évoque, par un type singulier de récit, des choses que la raison ne pourrait pas transmettre. Et cela de deux façons :

-     Le mythe a recours à la transcendance : intervention des dieux, d’êtres merveilleux : il se situe au-delà de la raison humaine 

-     A contrario, si l’on voit dans le mythe le langage de l’inconscient, des mouvements fondamentaux de la psyché humaine, il devient un en deçà de la raison.

Sa place dans la philosophie a beaucoup varié, Platon l’utilise pour sa dimension pédagogique. Il affirme que dans le récit, au travers de l’intuition, se manifeste une forme de pensée. Le mythe pense et fait penser, une pensée sans concept. Beaucoup d’autres, à la suite d’Aristote, le refusent pour sa dimension non strictement rationnelle.

Longtemps suspect de n’être qu’un mensonge, un leurre, le mythe est devenu un objet d’étude privilégié depuis plus d’un siècle pour des psychologues, des ethnologues en tant qu’expression des individus et des sociétés, mais aussi pour des écrivains et des peintres qui y découvrent une source d’inspiration.

  • Sociétés dites primitives

Les mythes y sont indissociables de la dimension religieuse et du sacré qui sépare l’espace et les éléments de la vie entre profanes et sacrés (c’est là que l’on retrouve la notion de tabou). Les mythes sont associés à des rites (de passage, de fécondité, guerrier…). La dimension rituelle s’accompagne de gestes, de danses, l’on peut utiliser ici le terme de « mise en scène » et l’on peut y voir l’origine de notre art du théâtre. 

Les anthropologues comme Lévi-Strauss ou des philosophes comme Paul Ricœur s’accordent pour affirmer que le mythe est un récit, anonyme et collectif, qui s’est élaboré par transmission orale au fil des générations pour atteindre un maximum de force et de concision.

Le mythe est une imagination "sérieuse". Le mythe est l'objet d'une croyance, tenu pour vrai : histoire sacrée d’une efficacité magique, récitée dans des circonstances précises, il se distingue nettement des simples récits de fiction: il n’est pas un conte, une fable ou une simple histoire. Le monde est empli de messages, ce sont les mythes qui permettent de les déchiffer. Pierres, montagnes, arbres, eau, Lune... sont les supports de ce déchiffrement. La connaissance des mythes fait partie de l'initiation: l'initié est celui qui sait, qui connait les mystères métaphysiques dont les mythes sont l'un des médiums essentiels. 

En lien avec le point précédent (son lien avec le sacré) il se présente comme une explication ; ainsi, il peut être un récit fondateur rappelant le temps fabuleux des commencements ; il explique comment s’est fondé le groupe, explique le sens de tel rite ou de tel interdit, fournit l’origine de la condition présente des hommes. Placé hors du temps ordinaire, le mythe se distingue de la saga où se décèle un ancrage historique. Cette dimension de « temps hors du temps » sera essentielle dans toute reprise du mythe. Ici se niche son ambiguïté : c'est un objet de croyance, mais avec une forme au moins partielle de réalisme. 

Sa fonction première est d’être un récit fondateur qui propose une cosmogonie : le récit de la naissance de l’ordre du monde qui explique l’origine de l’homme et sa place dans l’univers, le Cosmos.

Le mythe remplit une fonction socioreligieuse, c’est un intégrateur social, il est le ciment indispensable du groupe, auquel il propose des normes de vie et dont il fait baigner le présent dans le sacré.

Les personnages principaux des mythes (dieux, héros, animaux magiques…) agissent en vertu de mobiles largement étrangers au vraisemblable, à la psychologie « raisonnable ». Leur logique est celle de l’imaginaire.  Dans cet univers  tout entier fait de significations, règne l'analogie: les rapprochements entre les formes et les dieux, entre les êtres et les forces : comment ne pas penser à ce qui reste dans l'écriture de puissance analogique, à la métaphore surtout, ce lien direct, cette homologie implicite qui fait entrer en vibration des lieux, qui établit des correspondances entredes domaines lointains. La métaphore serait-elle, comme la musique, un des derniers refuges du sacré ? 

Claude Lévi-Strauss a mis en avant une autre caractéristique essentielle du mythe, l’importance de ses structures marquées par des systèmes d’oppositions signifiantes dans lesquelles chaque détail est significatif. Rappelons l’exemple du mythe d’Adonis, étudié par l’anthropologue Marcel Détienne. Si le héros est enseveli dans un champ de laitues sauvages, ce détail n’est pas comme chez Balzac, une précision destinée à « faire vrai », ce que Roland Barthes nomme un « effet de réel » (notion sur laquelle il faudra revenir), mais d’une allusion à un code particulier, commun au groupe concerné et dans lequel la laitue sauvage est la plante de la frigidité et de l’impuissance sexuelle et s’oppose à la plante de la puissance érotique : la myrrhe. Ainsi le mythe à la fois utilise et atteste les codes de groupe.

 

  • Mythes grecs 

Il est intéressant de rappeler qu’ils nous ont été, le plus souvent, transmis par la littérature au travers des épopées d’Homère, d’Hésiode et des tragiques comme Sophocle et Euripide.

Les mythes et les rituels qui leur sont associés mettent en scène des divinités, des êtres surnaturels, créatures souvent à mi-chemin entre l’homme et l’animal, tels que sirènes, centaures… des monstres hybrides qui servent d’intermédiaires avec les dieux.  L'on retrouve ici la dimension "surhumaine" déjà présente dans les mythes archaïques où le caractère humain n'était obtenu qu'après les rituels de passages et les initiations permettant un dépassement de l'humanité "naturelle et un effort pour se rapprocher des modèles divins évoqués dans les mythes.

Le récit mythique grec prend en charge certains aspects de la réalité, c’est un moyen de donner une cause à ce qui nous entoure non par l’explication, mais par l’affabulation, par une histoire imaginaire fondée sur l’observation de quelque chose de réel. 

On retrouve la dimension de récit fondateur ou explicatif, la dimension religieuse et explicative, mais le mythe grec développe une dimension psychologique avec la figure du héros, ce personnage surhumain dont le mythe raconte les actions imaginaires. La figure du héros et de son destin donne au mythe une puissance d’investissement de la sensibilité qui le rapproche de la littérature : dramatisation, dimension symbolique, nous sommes ici pleinement dans la dimension du « récit » dont la littérature multipliera les formes.  Les situations mythiques sont des projections de conflits psychologiques.  

Le mythe grec recèle une dimension populaire au sens noble, mais il est difficile de connaitre le rapport des Grecs à leurs mythes ; certains spécialistes mettent l’accent sur leur réalité et une forme de désacralisation : les mythes et leurs héros étaient parmi les hommes.

Exemples de mythes grecs: Sisyphe, Orphée, Prométhée, le Minotaure, Icare, Pandore, Médée, Cassandre, Oedipe, Narcisse, Ariane, Achille, Hélène de Troie.

  • Mythes d’origine biblique 

Ils sont nombreux : l’Apocalypse, Salomé, Judith, le Golem ou encore le Mythe de Caïn. Le Déluge, L’Exode, le Paradis perdu, Moïse, les Cavaliers de l’Apocalypse, Babel, le Purgatoire, le jardin d’Eden, l’Enfer, Satan, Judas…

Le Christ lui-même considéré par les croyants comme le fils de Dieu est devenu pour d’autres soit un personnage historique soit un mythe.

  • Mythes germaniques 

Vikings ou les Valkyries nordiques. 

  • Mythes médiévaux et celtiques

Tristan et Iseult, la légende arthurienne de Lancelot du Lac et de Guenièvre, Merlin l'Enchanteur...

  • Mythes issus de contes 

Certains personnages, comme Barbe Bleue dans le conte de Charles Perrault paru en 1697 dans Les Contes de ma mère l’Oy, sont devenus des symboles de situations dramatiques, victimes ou bourreaux, ils incarnent des rôles, des destins dans lesquels l’aspect merveilleux n’est plus considéré comme essentiel.

L’usage du mot « mythe » s’est étendu à l’époque moderne : le lien avec le sacré et le rituel s’est distendu.

  • On l’utilise pour certains personnages historiques qui peuvent conserver une dimension « sacrée » au travers de leur rôle historique et leur destin : César, Alexandre, Cléopâtre, Jeanne d’Arc, Napoléon…  

Époque contemporaine 

Le mot mythe, comme d’ailleurs celui de « culte » ou l’adjectif « historique » ont perdu leur puissance symbolique pour devenir synonyme de « important » ou « qui a eu un énorme succès » : série culte, match de foot « historique », acteur mythique… On retrouve même le terme dans des formules comme « le mythe de l’équilibre budgétaire »… 

Il existe peu de récits mythiques contemporains : des stars, des villes, des lieux, des films, mais il s’agit plutôt de procédés d’identification, de projection de soi bien loin des explications cosmiques ou fondatrices, d’où peut-être le besoin de revenir à ceux du passé. Si l’on excepte ces mythes médiatiques ou sportifs, notre époque semble marquée par l’absence de nouveaux mythes. 

Disparition du sacré ? Ou évolution avec l’émergence de mythes plus proches des individus ? Émergence d’une nouvelle culture commune, plus populaire encore, celle des médias, des « communautés » ? Ou dévoiement du mot « mythe » ? Les anciennes mythologies, basées sur le collectif, le lien social, auraient été remplacées par l’individu : l’ère du roman et du selfie aurait remplacé celle du mythe.

Le mythe propose une sorte  d'exutoire des interdits sociaux, des pensées refoulées, mais aussi des poussées les plus virulentes du psychisme individuel qui se heurte aux impératifs du groupe. Que signifie son absence ? N'aurions nous plus d'interdits? Les questions restent ouvertes.

Pour conclure, nous pouvons nous interroger : que reste-t-il des mythes dont nous avons hérité, de leur rôle de fondement, de construction d’une mémoire collective ? De leur puissance symbolique ? De leur pouvoir d’inspiration imaginaire ? Nous reste-t-il encore des histoires hors du temps des hommes ? Des fantasmes collectifs ? Existe-t-il une actualité, une familiarité avec ces anciens mythes ?

Mythe et littérature 

« … je me dis qu’un poète devait, pour être vraiment poète, prendre pour matière des mythes… » Socrate, Phédon

« … les mythes, ces honnêtes ressorts du théâtre intellectuel que porte en lui tout rêveur ». Louis Aragon

Pour Lévi-Strauss, « le domaine de la mythologie, c’est là où l’esprit semble le plus libre de s’abandonner à sa spontanéité créatrice.

Les synonymes - qui n’en sont que des approximations - du mot mythe : allégorie, fable, histoire, illusion, invention, légende, rêve, roman, mettent en évidence le lien entre mythe et littérature : les deux opèrent dans les parages du récit. 

Nous avons noté que c’est la littérature grecque qui les a transmis par transcription et élaboration de récits oraux dès l’époque homérique. Les deux épopées, que sont l’Iliade et L’Odyssée d’Homère, nous relient à la tradition mycénienne et sont au fondement de notre littérature. Puis c’est au travers de La Théogonie d’Hésiode, des Argonautiques d’Apollonios de Rhodes, et des Métamorphoses d’Ovide que l’on peut découvrir la mythologie grecque.  Il ne faut pas oublier le rôle essentiel du théâtre, avec des pièces comme Électre et Antigone de Sophocle, Électre d’Euripide ou encore Les Sept contre Thèbes d’Eschyle. C’est dans Œdipe roi et Œdipe à Colonne que Sophocle dépeint les deux visages d’Œdipe : le criminel puissant et orgueilleux dans la première, dans la seconde, la victime exilée, expiatrice d’un terrible destin. 

Cette transmission et élaboration par la littérature se poursuit avec des auteurs comme Virgile dont L’Énéide, sorte de pendant de l’Iliade, retrace le parcours d’Énée, « le héros qui, banni de Troie par les Destins, aborda le premier en Italie sur le territoire de Lavinium »

En se faisant la littérature, en s’écartant du sacré, le mythe a laissé place au romanesque, à l’histoire de l’individu « ordinaire ». Psychologisation et rationalisation marquent le passage du mythe au roman. D’ailleurs, chez de nombreux anthropologues, « mythe » s’oppose à « littérature ». Tel est le cas pour Lévi-Strauss ou pour Vernant qui se représentent le passage de l’un à l’autre en termes de rupture. Dans cette perspective, nous voici mal partis pour légitimer l’expression une peu « bâtarde » et même contradictoire de « mythe littéraire ».

Il faut revenir à l’influence considérable des mythes dans la culture occidentale pour dépasser ce paradoxe.

Mise en récit de l’incompréhensible, incarnation dans des personnages de forces et d’éléments naturels, questionnements sur la destinée humaine, les mythes ont fait œuvre d’unification linguistique et culturelle et même de conscience nationale. Leurs héros ont peuplé les imaginaires, leurs histoires sont comme les traces des déterminations inconscientes de l’âme humaine, leurs récits explorent les violences affectives fondamentales, il était « naturel » que les écrivains les reprennent, les adaptent, les transforment.

 On peut considérer qu’il y a dans cette réutilisation une perte de la dimension d’explication globale, de la dimension symbolique du mythe, un usage qui rompt tout lien avec le sacré. Cependant, saturés d’images, de symboles, les mythes laissent la place à de multiples interprétations qui se prêtent à l’exercice littéraire.

Il faut ici ajouter l’élaboration de mythes proprement littéraires : des personnages de romans sont devenus les symboles d’une psychologie, d’un destin : Faust, Gargantua, Don Quichotte, Don Juan, Madame Bovary, Étienne dans Germinal…

Certains mythes comme celui de Tristan et Yseult proviennent de la tradition orale et noté transmis par les poètes comme à l’époque grecque. Sont-ils des mythes ? Des mythes littéraires ? Les deux notions semblent ici imbriquées.

 

 

 

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Je détournai les yeux de ces géographies nocturnes, j’avançais, enjambais de longs serpents souples qui glissaient sur le sol ; les vagues silhouettes des employés municipaux semblaient jouer avec leurs gueules ouvertes qui crachaient dru, je les entendais gicler joyeusement et le pavé étincelait sous leurs jets d’eau. Calme, la tête creuse et le corps rafraîchi par le léger brouillard qui fusait, je laissais la place s’étirer sous mes pas ; les bruits, les arbres, les silhouettes jaunes qui s’affairaient, tout s’éloignait lentement comme absorbé par un espace vierge de toute émotion, je pénétrais dans une zone immense et dénudée. Le petit jour de juin se faisait cotonneux et pâle comme un matin de neige, à l’autre bout, la place me jeta sur son rivage avec la certitude soudaine et violente de n’être qu’en sursis, dans la liberté provisoire d'une anesthésie. Sans raison, je pris à droite et longeai l'avenue principale comme un fond de scène brumeux, une simple toile avec personnages peinte trop loin. Sortant de l’ombre, des maisons fripées penchaient vers moi leurs visages cireux, baillant de leurs volets de bois qui s'ouvraient en grinçant pour mieux accueillir l’aube. Dans la douceur fatiguée de ce jour qui commence, cette vie qui s'éveille n’était pour moi que l'illusion d'un monde qui s'effondre sans le savoir encore, sans savoir qu’en ce petit matin de juin, je sortais d’un second face à face avec la mort et que cela me hantait, me hanterait comme la promesse d’un mauvais rendez-vous. Il fallait avancer encore et, parfois, sur un trottoir, croiser des gens, baisser les yeux et resserrer son col devant ces créatures échappées de la toile, devant l'impossibilité de partager cette sensation de monde qui se renverse, cette certitude que ce qui commençait à poindre derrière les façades n’était pas la lumière neuve du matin, mais la nuit qui tombe dans le jour nouveau et le dissout, comme un acide. Le corps raidi, ne semblant plus tenir que par la suite instable des équilibres de la marche, j'accélérai le pas, serrai plus fort mes doigts ; il n’y avait plus que cela, la tension de mes ongles creusant le tissu des deux extrémités de mon col, deux points de résistance pour échapper au point obscur qui se mêlait peu à peu au bruit de mes semelles. Je ne savais pas encore ce que cela signifiait, je ne pouvais que m’agiter, tenter d’escamoter ce qui ne peut pas s’éviter, d’apprivoiser cette pensée brûlante et étrange, inexorable. Pour la seconde fois, un lien s’était créé entre mes désirs et la mort. Plus loin, je m’embronchai aux chaises en rotin d'une terrasse de café pourtant familière, j’étais ivre comme un homme qui marcherait au fond de l’océan, en apnée de sentiments, les poumons et le cœur trop pleins pour accueillir encore. À de rares instants, je parvenais à n'être plus que le choc régulier de mes chaussures sur le goudron humide de rosée. En vain, la ville n’était plus qu’un immense aquarium, je roulais ; bousculé, je tanguais. J’avais atteint le moment où le malaise prend corps, où une vision peut se faire douleur. Elle était là maintenant, pointue, indubitable. Son aiguille trouvait sa source dans une forme imaginaire, une figure allongée qui me perçait, me traversait de sa cascade aigre et la douleur s’en égouttait, tombait par plots, je la sentais glisser jusqu’à mon estomac qui se contorsionnait sous l’impact, la faisait rebondir. Elle s’élargissait alors, nappait tout mon cerveau d’une image d’arrière fond, un peu floue, une vision comme un sens nouveau pour voir de l'intérieur, pour se pencher vers le dedans, plonger et toujours, malgré tout, se tenir, tenter de se remplir du bruit régulier de mes semelles de cuir claquant sur le trottoir. Mais cela ne suffisait plus, des questions qui n’étaient pas faites de mots étaient là, en moi, des douleurs qui claquaient plus fort encore et remplissaient l’espace.Une mort désirée qui s’accomplit suffit-elle à vous rendre coupable ? Des secousses me parcouraient tout entier, frissons d’une fragilité qui se fraye un chemin vers la surface, ébranlements d’une lucidité soudaine qui font vibrer le corps, fendillent les apparences. La ville s’émiettait comme un puzzle qui se défait et retombe en vrac dans sa boite.Entre le désir et la mort, il y a le geste, le geste fatal. Avait-il eu lieu ? Je ralentissais, sous moi la cage de ma respiration hoquetait bruyamment.Passage à l’acte. L’ombre des mots tintait sur le trottoir, tressautait sur les parois de mon esprit. Passage à l’acte ? Je ne savais plus. La pensée annihilée par la fatigue et les émotions contradictoires, l’idée et sa réalisation, le désir et l’objet, l’accusation et la culpabilité, tout se fondait comme ces choses qui ont lieu la nuit entre deux phases de sommeil profond et dont on ne saurait dire si elles ont été rêvées, espérées, inventées ou subies.Alors je refusai de penser, je cherchai à faire le vide, j'y parvenais presque si ce n'était un corps, la vision d'un corps étendu qui s’imposait à moi, en point de mire de mes pensées et de mes pas. J’accélérai encore, j’espérais la semer, la vitrifier, je traversais des rues à l’aveugle, elles se dérobaient devant moi comme ces amis qui vous renient et se détournent avec un haussement d’épaule. Non, rien ne pourrait la dissoudre. Il me semblait pourtant encore possible de la réduire, de la tenir serrée dans l'innocence d'un simple souvenir, de l’estomper sous le grain d'une vieille photo sépia, presque touchante. Et puis, au moment où je reprenais enfin mon souffle, longeant une palissade de bois où s’écaillaient de vieilles affiches, j’ai machinalement cherché les miennes, je n’en ai pas trouvé : elle en a profité, elle a fondu sur moi. Une vision, un piège, j’étais pris dans sa glu. Je marchais, la fuyais, l'emportais, elle s'était installée si vite ; maintenant, elle tapissait tout mon ventre, me remplissait. Parfois précise, elle se faisait nappe rouge, auréole autour d’une tête invisible puis glissait plus au fond, rejoignait, réveillait l’autre rouge, l’autre vision, le filet à la lèvre de mon père, la couleur de brûlure qui purrulait dans mon estomac vide. Et si, parfois, elle semblait disparaître, c’était pour revenir, s’étaler, s’installer mieux encore ; trop grande pour moi, elle me débordait comme une nausée. Je ne voyais plus qu’elle, je marchais dans le rouge, la couleur du théâtre ! Elle recouvrait tout. Je me raisonnais, je n’étais pas un personnage de roman noir, je ne pouvais pas me penser criminel, il fallait se débattre, se dépêtrer de cette toile solide et ductile, refuser le cliché trop facile du crime, du rouge et du sang, refuser de se vautrer dans les fibres collantes et souples de la confusion et du songe, refuser la tentation de la déraison comme ultime chemin de fuite. Une femme balaye un trottoir et je flotte, étourdi. Cette chute, ce corps sur le sol, sa chute, et puis moi qui trébuche dans le petit matin, notre chute, une conjugaison, un déploiement, je valdingue, un mot sonne dans ma tête comme l’agitation qui me malmène, c’est la dé-grin-go-la-de. Un peu plus loin, devant les grandes portes cintrées de fer de la poste fermée, mon pas se fait timide, hésite, une torche grésille, fait jour à l’intérieur de ma pensée, incrédule, je plonge, j'aperçois tout au fond un lac teinté de rouge sombre, couleur de culpabilité qui se perd dans le noir, se déforme et prend consistance. Il me fait face, me nargue, grimace comme un doute. Et si tout cela, cette vision, l'émotion aux aguets avec laquelle on croit jouer à cache-cache n’était qu'un leurre, une fausse peur pour tenter d'écarter les vraies ? Une mauvaise comédie ? Une tache pour en dépister d’autres, moins sanglantes, mais tout aussi tenaces, toutes les lâchetés, les accointances, toutes les facilités qui rendent la pente glissante ? Incantation, exorcisme ? Une phrase s’est mise à tourner en boucle. Je psalmodiais :« Je ne suis qu’un danseur, je ne suis qu’un chorégraphe. » Et là, juste derrière, en embuscade, une autre phrase me chantait à l’oreille : « N’est-ce pas justement cela, un chorégraphe, celui qui transforme ses désirs en gestes ? ». Je devais avoir l’air d’un fou ou peut-être étais-je parvenu à la limite, à l’orée de cette forêt profonde, de cet autre visage de la réalité que l’on nomme folie. Quelques boutiques étaient ouvertes maintenant, celles des lève-tôt qui illuminent la fin de nuit des couche-tard comme moi et qui, cette fois, m’abandonnaient à mes pensées obscures. Peur, tache, couleur, tout entraînait tout et tout se refermait, je me jetai en avant pour forcer le passage, mais je savais pourtant, que, quelque part, plus tard, il faudrait s’arrêter et faire une place au réel. Je m’enfonçai dans de petites rues sans les reconnaître, rentrer chez moi était inconcevable et c’est ainsi, perdu, que je suis arrivé devant la porte du studio sans savoir comment j’y étais parvenu. Je ne sais pas non plus comment je suis entré, je devais avoir pris les clés. J'allumai un seul néon pour ne pas effrayer par une lumière trop vive la présence charnelle de toutes les heures vécues ici. J’espérais peut-être trouver refuge dans ce lieu du travail quotidien : le studio de danse, la coulisse de la coulisse, une pièce toute en longueur, lieu vide et solide construit d'effleurements sur ses murs, de mains agrippées à des barres de bois, un lieu fait de miroirs, de regards, érigé sur tant d'efforts, tant de gestes, ce studio de danse ou un autre, plus grand ou plus vétuste, des lieux tant de fois arpentés, habités par la danse, leur sol usé, tant de fois caressé de chaussons et de corps, un lieu désert qui porte l'écho de tant de mouvements, espace silencieux résonnant, peuplé de ses danseurs, surtout cela, oui, les danseurs qui travaillent et cherchent dans l’épaisseur de ses immenses glaces le fantôme de leur quête. Peut-être, mais là, seul au milieu du studio vide je sentais mon corps impuissant, je n’étais plus assez danseur, plus assez libre de mes mouvements pour m'exorciser par mes gestes ; depuis trop longtemps je faisais circuler mes émotions par le corps des autres. Avivée par le silence et l’immobilité, la brûlure, insupportable au creux de l’estomac, un ulcère irrigué par les fluides acides venant de mon cerveau me privait de toute ressource, une douleur faite de soupçons et de doutes, nourrie par toutes les petites douleurs enfouies, rentrées, s'agrégeant dont je sentais converger tous les ruissellements qui s’étaient dégelés. Une douleur à se jeter par la fenêtre. Alors, je me souviens de m'être assis à mon bureau, dans la petite alcôve qui fait face à la salle comme l'on s'accoude un soir de solitude à un balcon pour voir passer la foule, y chercher un visage familier, pour apercevoir un ami. Et si j'écrivais ? Antinomie du chorégraphe qui écrit ? J'avais toujours noté des pensées, des projets, des commentaires, mais là c'était tout autre chose, écrire ce que l'on ne peut plus danser, se servir des mots qui ne sont plus des gestes, mais des signes. J’ai allumé l’écran, voyageur perdu, je me suis cramponné à sa lumière, tentant de me souvenir comment, si souvent, les gestes m'avaient fait signe. La lumière du néon tombant du mur derrière moi insinuait son rayon sale, tranchait le dos de mes mains de sa lame ébréchée avant de se perdre sur les lattes du parquet de bois. Tout au fond son faisceau pâle laissait s'effacer dans l'ombre le vieux trompe-l'œil des trois grandes fenêtres en ogive qui donnaient sur la rue. Figé par l’urgence, intimidé, pressé, avec la peur d'être maladroit comme à l'instant des gestes qui précèdent l'amour, je m'accrochais à la vision de ces deux mains ainsi suspendues au-dessus des touches comme deux griffes menaçantes et, peu à peu, au travers du silence de la pièce déserte, j’ai écouté monter en moi une bouillie d’images et d’émotions. Elle a gonflé, elle est devenue si énorme que, si j'avais décalé mon regard, elle aurait occupé tout mon champ de vision, alors, j’ai posé le crochet de mes mains sur le clavier. Elles sont redevenues inoffensives et vivantes. Je me suis mis à écrire.        {loadmoduleid 197}