Pourquoi animer ?

Pourquoi animer ?

Pourquoi animer  un atelier d'écriture ?

Cette question surgit au moment de s'engager dans cette activité puis, parfois, dans la pratique de l'atelier, au hasard des remises en question, des difficultés, des lassitudes. Interrogation personnelle et centrale, cette question du "pourquoi" est la condition et la clé de la présence de l’animateur. Il est nécessaire d'ausculter son désir avant d'endosser son rôle "d'initiateur et de thérapeute du texte".

Certaines raisons sont évidentes: l’atelier est un lieu rare, un lieu de partage et d’échanges et ceci me semble en soi une des raisons essentielles de ce choix. Mais l'atelier d'écriture est une notion vague et la réponse à cette question se trouve aussi dans l'envie de trouver sa propre forme, ce que l'on a envie d'y mettre, d'y risquer, pour garder toujours l'envie d'animer.

En ce qui me concerne, l'atelier m'a révélé la primauté, parmi mes motivations, d'une croyance en la culture en tant que pratique, je dirais même une conviction de l'importance d'une pratique artistique pour nourrir la vie quotidienne. J'insiste sur le mot "pratique" qui se distingue de ce que l'on peut appeler les activités culturelles : assister à, aller à, écouter... qui sont indispensables, mais courent le risque d'une forme de passivité et parfois même d'une sorte de consommation culturelle sans véritable appropriation. Et aussitôt, j'ajouterais une autre conviction : que cette pratique ne pourra opérer un enrichissement véritable si elle se limite à donner libre cours à une créativité purement individuelle et spontanée. Je ne suis donc pas du côté du "ludique" ou rarement, parfois, à la marge. Je crois que la pratique artistique ne mérite que l'on y passe du temps que si elle s'inscrit dans un héritage culturel pris dans un sens très large, un héritage qui ne s'impose pas comme un poids, mais comme un vivier de constructions, de mots, d'idées, de personnages, de formes de langage... Je crois à un épanouissement personnel par le contact des œuvres. Ce contact n'est pas une étude, mais un lien vivant, une appropriation joyeuse de la culture du passé et du présent, une ressource : des outils qui peuvent être intimement reliés à ce qui constitue notre expérience sensorielle et affective. Mes ateliers mettent donc en contact ces deux pôles : celui de la littérature, passée et présente -celui du "déjà écrit"-  et celui de l’invention personnelle.

Que les participants de mes ateliers soient déjà dans cette démarche ou pas importe peu, ce qui me motive, c'est de relier ces éléments culturels avec leur vie, leur sensibilité. Il s'agit de stimuler la curiosité, de favoriser l'imprégnation avec de grands textes, de mettre en évidence leur proximité quand ils sont anciens, de questionner ceux qui nous sont plus proches. Il est nécessaire que l'atelier garde un lien fort avec la modernité, avec ce qui participe de notre époque, mais qui reste incompréhensible si l'on ne cherche pas à savoir d'où il vient. Je crois ainsi qu'écrire amène à interroger son propre rapport avec l’art et à la modernité, car écrire c'est aussi choisir, construire, saisir quelque chose par l’esprit même si souvent l'écriture passe d'abord par la sensibilité.

J'anime pour lutter, à mon échelle infime, contre le risque pour moi majeur que court notre époque, celui d’un appauvrissement de la vie intérieure et du langage. Le contact avec la littérature passée ou contemporaine, l'exploration de nouvelles possibilités pour s'exprimer, mais aussi l'incitation à observer, à se mettre à l'écoute des sensations, des émotions, sont mes armes.

J'anime avec mes convictions, toutefois ma priorité reste de m'adapter, de vaincre mes propres résistances, de lâcher parfois l'envie de tout partager pour s'en tenir à l'essentiel : garder ouverte cette possibilité "d'équiper" la sensibilité littéraire de ceux qui viennent écrire avec moi, leur donner accès par des outils, des découvertes, des textes, à un rapport plus libre au langage et à l’imaginaire.

Un chemin se fait peu à peu, une sorte d'initiation, chacun à sa façon qui consiste à "faire sien" la différence entre - et je reprends ici l'expression de Roland Barthes - la "littérature de plaisir" et la "littérature de jouissance", celle qui conforte et celle qui dérange, car la jouissance amène ailleurs. Il ne s'agit ici pas d'exotisme, mais d'un accès à une littérature plus exigeante, celle qui ouvre à des plaisirs plus essentiels.

F. Bon affirme que l’atelier n’est justifiable que "s’il contient sa propre liquidation" : je ne m'exprimerais pas ainsi. Sans chercher à garder les participants, puisque je vise à les rendre autonomes, capables de prendre du recul avec ce qu'ils écrivent ou lisent, cette idée de "liquidation" me parait trop idéologique. Elle ignore les plaisirs du groupe, plaisir de se retrouver, plaisir de l’écriture amateur au sens de celui qui aime, de ce temps de l'atelier réservé à l'écriture, précieux plaisir de la stimulation du groupe, de la sympathie au sens le plus vrai du terme, autant d'éléments qui, je l'ai annoncé dès le début de ce texte, sont des composantes fondamentales de cette activité. 

Alors, pourquoi, après tant d'années, continuer à animer ?

Pour poursuivre cet échange, ce don et ce contre-don qui me poussent à aller plus loin dans ma recherche, à nourrir mes propositions de ce qui s'est passé en atelier et de mes nouvelles lectures. Pour prolonger encore ces moments privilégiés qui nourrissent ma confiance dans les relations humaines.

Sylvie R.B.

 

 

 

 

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