Miroir

Texte S.Reymond Bagur Miroir

Entre mes doigts nerveux, une chose noire cerclée de blanc. Froide, sombre. Un petit lac aveugle que je tiens serré, que j’ausculte comme une boussole dans le désert. Dentiste, agence, Michel… Mon index balaye l’écran poussant et repoussant loin de moi la balançoire du quotidien. Des 06, un 09… des numéros qui n’ont rien à me dire, que je franchis comme des obstacles. De simples numéros, ce n’est pas de cela dont j’ai besoin. 07…, Madame… Les chiffres et les lettres se brouillent dans le défilement des choses et des gens de ma vie, proches, inconnus, tous silencieux en ce moment d’urgence. Inexistants. De simples signes sur fond blanc. 

Je suis tout en bas maintenant, la liste balance un instant puis se fige. Il n’y est pas. Je remonte, reprends le mouvement de balançoire. Mouvement léger, délicat, régulier, pousser, repousser, chasser l’eau dans la cour inondée, encombrée de ma vie. Claire, François… Mon index glisse, fait défiler, encore, je suis de nouveau tout en bas, il n’est toujours pas là ! Je remonte. Anne-Laure… J’efface. Je cherche et il n’apparaît pas. Est-ce déjà trop loin ? Retour en haut de la liste. Glissement latéral. Pression des doigts. J’efface encore. D’autres numéros, résistants, importuns, 06… 04… 01… Fébrilité d’un instant hors du temps et c’est long, mes mouvements, trop pressés, pataugent entre les touches. Je redescends, la liste s’égraine, encore une fois. Léa…, Docteur… Tics de l’index, impitoyables. J’efface encore d’autres gêneurs, d’autres insignifiances. Et il est là. Enfin. Tout en bas, seul, telle une bouée au milieu des vagues. Maman Ehpad. Je remonte. Mouvement inverse de l’index, plus rapide encore. J’efface, tout, sans distinction. Il se démultiplie. Maman Ehpad, trois fois, Encore un peu… François, 07 22… Pousser, effacer… Supprimer. Supprimer. SUPPRIMER ! Maman Ehpad, neuf fois. Vingt fois. Il n’y a plus que lui. Maman… Je change de temps et d’espace. Respiration bloquée. Et une tentation soudain sous la pulpe du doigt, une giclée dans mon cerveau. Faire le numéro ! Avoir un numéro, appeler, comme si… comme au temps où… Avoir un recours ! Le frisson de la voile attendue qui s’ouvre à l’horizon. C’est idiot, cela fait si longtemps qu’elle ne répond plus. Oui, un recours. Mes lèvres s’entrouvrent et remuent en silence. Allo, maman ? Réflexe imbécile. Assise sur mon banc, la place a disparu. Rayon de soleil froid. Il n’y a plus que ça, que lui, que nous, que toi et la dureté du métal glacé qui perce sous ma jupe. Un objet blanc et noir me regarde. En miroir. Touche verte. Appuyer. Des points défilent telle une une onde. Une chaleur en bas du dos qui finit en sourire. Touche rouge aussitôt. Raccrocher ! Replonger.

Sylvie Reymond Bagur 

 

 

 

Texte sur le téléphone portable extrait du roman de Sylvie Reymond Bagur L'Autre d'une femme

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