Existe-t-il une place pour la littérature fantastique aujourd’hui ? Si l’on en excepte la science-fiction, les dystopies et autres uchronies, subsiste-t-il une dynamique de ce genre ?
Il y a évidemment de nombreuses publications de recueils de nouvelles que je ne connais pas et qui renferment certainement de bons textes que l’on peut qualifier de fantastiques. Cependant, plus je lis des textes fantastiques et plus je ressens leur inadéquation avec notre époque. Le fantastique a connu son apogée au XIXe, et beaucoup de spécialistes resserrent même cet âge d’or autour des années 1830. Le fantastique de par ses thèmes les plus classiques : revenants, esprits, fantômes… repose sur un héritage chrétien, il stipule l’existence de l’âme et de son repos que des forces malfaisantes peuvent troubler ainsi que d’une dimension sacrée de la mort. Que peut-il en rester à une époque où cela semble désuet pour la majorité des lecteurs ? Ils ont été remplacés par la violence, l’exaltation de la dangerosité, de l’assassinat imminent et sanglant. La poésie de la mort de la jeune femme aimée et de sa résurrection que l’on trouve notamment chez Gautier ou chez Poe risque de tourner à vide à moins d’accepter de se laisser charmer par la qualité d’une écriture, l’envoûtement d’une atmosphère, la pureté de sentiments comme autant de dépaysements. L’autre puissant mécanisme du fantastique, « l’inquiétante étrangeté » pour reprendre une expression freudienne, se construit à partir de descriptions subtiles de lieux, de paysages qui, eux aussi, dépaysent le lecteur contemporain impatient.
De la même façon, les textes fantastiques qui mettent en scène des désirs et des frustrations ne sont jamais totalement psychologiques, ils portent en eux une forme de vertige métaphysique. La psyché contemporaine se cherche, cherche à se libérer des normes et des structures sociales ou à « gérer » des questions d’organisation de famille ou de travail. Le fantastique au sens classique peut la séduire, comme je l’ai évoqué plus haut, par le charme d’un dépaysement et la vitalité ou la justesse d’une écriture, mais reste fortement en décalage avec nos vies programmées et encadrées.
Les modes de vie, les sensibilités et les questionnements contemporains peuvent-ils donner naissance à des interrogations du même type ? Les récits fantastiques peuvent-ils trouver un cadre dans les cités du XXIe ? Cela me semble difficile. Le fantastique a-t-il été définitivement remplacé par la science-fiction qui semble accompagner naturellement le développement et l’omniprésence de la technique ? Balayé par la Fantasy qui libère l’imaginaire de toute contrainte de vraisemblance collant ainsi à une époque qui rejette les contraintes ? En apparence.
À moins que, justement, le fantastique trouve sa place à la marge d’une production romanesque centrée sur des questions sociétales, politiques ou historiques et sur la recherche de l’épanouissement individuel. Il ouvre un espace à ce qui subsiste de besoin de métaphysique. Il ne peut pas le faire en reprenant les thèmes qui ont été les siens comme les revenants et les vampires qui ne sont plus que divertissements Halloweenesques pour utiliser un barbarisme à la mesure de ce qu’est devenue la fête des morts.
Dans la lignée de Borgès, de Cortràzar, le fantastique subsiste sous d’autres formes. Travaillant sur les perceptions, des jeux de langage, des constructions singulières, une littérature de l’étrange, du vertige, du questionnement métaphysique fait appel à ce qui subsiste de flamme intérieure non matérialiste et non auto centrée. Sans se laisser séduire par l’irrationnel et ses facilités, le fantastique ne serait-ce pas le lieu où peut subsister l’espace du mystère ?