Ecrire les sons, exemples

Textes, extrait son et bruits

 Textes, extraits sur le bruit

Voici deux extraits de Siloé, un roman de Paul Gadenne, qui raconte la vie d’un jeune homme dans un sanatorium.

1. L’arrivée en bus avec le bruit du klaxon comme signe avant-coureur, un son particulier dans son développement et sa signification.

« La voiture roulait dans l’eau, dans la boue, éclaboussait les petits murs des fermes, bousculait des chalets aux balcons minutieusement fleuris. Mais elle ne faisait qu’effleurer leur grâce humide et, pressée de se rendre vers de plus hauts lieux, elle éludait résolument toutes les invitations champêtres et multipliait à travers l’innocent paysage, par des coups de trompe répétés, la sommation d’avoir à écarter tout obstacle de son chemin. Les trois notes ainsi jetées à chacun des tournants de la route semblaient affirmer une préoccupation urgente et supérieure. Leur timbre grave, leur injonction énergique, la volonté qu’on sentait en elles d’arriver au terme, d’épuiser les détours de cette route infinie, de dérouler une fois de plus un lien entre deux mondes qui vivaient séparés, fournissaient à cette montée une sorte d’accompagnement brutal, mais pathétique.

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Simon se laissait chaque fois surprendre par elles et, comme si elles avaient contenu un sens, comme si elles avaient été chargées, à la manière des notes d’une symphonie, d’exprimer les plus hautes pensées, il sentait quelque chose en lui se briser doucement à leur appel. C’est qu’elles en savaient des choses, ces trois notes ! Elles les disaient lentement, elles allaient jusqu’au bout de l’aveu. Elles avaient des façons de pénétrer dans l’air et d’y jeter leur cri qui vous déchiraient le cœur ; on eut dit qu’elles donnaient l’alerte à travers le ciel, pour convoquer les hommes à quelque jugement solennel. Mais leur fixité n’était qu’apparente : ce n’était pas toujours un ordre qui partait d’elles, c’était parfois une plainte, un cri de souffrance, une langueur d’animal blessé. Pourtant, si elles avaient de secrètes défaillances, elles ne tardaient pas à reprendre la fermeté de leur décision primitive, la pureté de leur chant, nettoyé de tout déchet humain ; et même, au plus haut point de leur ascension, éclatait soudain un cri d’espoir, dans une sorte d’élan triomphal auquel les élevait leur sagesse ou que leur inspirait peut-être une révélation à justifier la vie. Comme si ces notes avaient fait surgir au sein du paysage une conscience nouvelle, celui-ci s’était dépouillé peu à peu au point d’abandonner tout ornement, de renoncer à toute coquetterie. Il avait cessé d’offrir ses décors pour concerts champêtres, ses motifs pour flûte. Les vergers, les jardins, les talus fleuris, tout cela avait disparu, et la terre n’offrait plus que des prairies nues ou des groupes de sapins qui érigeaient à travers le brouillard leur splendeur austère et inutile. La campagne faisait place à quelque chose de plus grand qui la faisait oublier. »

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2.  La vie du sanatorium comme un monde de sons :

« Cette chambre était une ile, un milieu clos ou le monde extérieur ne parvenait que sous forme de bruits. C’était ce bruit de toux qui chaque jour réveillait Simon à l’aube, en résonnant de l’autre côté du mur, lugubrement, dans la chambre voisine. Des bruits de feuilles froissées, des tintements de vaisselle, des bruits de voix, de pas. Le pas rapide d’un petit serveur ; le pas mou, redoutable, de sœur Saint-Hilaire, cette voix de crécelle qui grinçait chaque matin, pendant de longues minutes dans le couloir, le long des portes, montant et descendant, impitoyable, cette voix qui mettait fin à tout espoir, qui venait vous glacer dès le réveil et toute la journée vous condamnerait…

Puis, vers dix heures c’était le pas élastique et vif du médecin-assistant, le docteur Crou, dont on entendait se rapprocher la voix de chambre en chambre : « Bonjour, monsieur… Rien de particulier… Très bien… Au revoir, monsieur… » Puis, à trois reprises le bruit de l’ascenseur qui apportait les plats, les portes de fer qu’on claquait. Et enfin, clôturant la journée comme il l’avait inaugurée, le pas moite, inquiétant, de sœur Saint-Hilaire qui voulait vérifier l’extinction des feux. »

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Il est fascinant de constater comment ces textes explorent la quasi totalité des composantes et des caractéristiques du son exposées dans l'article sur le vocabulaire du son (timbre, énergie, personnification, dynamique… aspect matériel du « pas moite » de la sœur par exemple), autant de signes que nous avons affaire ici à un merveilleux écrivain.

Le second extrait qui raconte la vie du lieu au travers des sons de la journée, constitue une sorte de "paysage sonore", lieu sonore, lieu révélé par ses bruits, à la manière de ce que j'ai développé dans l'article qui leur est dédié.

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